N° 815 | Le 2 novembre 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Si l’on peut définir la toxicomanie comme la perte de la liberté de s’abstenir de prendre un produit en dépit de la connaissance de son caractère nocif, le traitement consiste alors à retrouver la possibilité de faire un choix et de rétablir un contrôle sur la prise de ce produit. Il est utopique de rêver à une société sans drogue. Il est bien plus réaliste d’éduquer les populations afin de leur permettre de consommer en toute connaissance de cause.
Ce discours s’est progressivement imposé dans notre pays qui aura été l’un des derniers à mettre en place des thérapeutiques de substitution : « De la même façon que les diabétiques manquent d’insuline pour assimiler le sucre, les usagers de drogue dont le système opiacé est endommagé ont besoin d’un traitement de substitution pour compenser cette destruction » (p.128).
Pendant plus de vingt ans, la méthadone a concerné cinquante patients et ce, à titre expérimental. Il n’était plus possible de travailler sur le sevrage et la demande, quand le pronostic vital est engagé. L’épidémie de Sida et la nécessité de mettre un terme à la catastrophe sanitaire dans les milieux de la toxicomanie ont fait passer ce nombre à 250 000. Il n’est pas anodin que les « drogués » des années 1970 soient devenus des « toxicomanes » dans les années 1982 et des « usagers de drogue » dans les années 1990.
Cette évolution sémantique est symbolique de l’évolution des pratiques. L’approche qui plaçait au centre le produit en mettant en avant l’éradication de sa consommation et l’abstinence, pensait régler le problème en le faisant disparaître. La société réagissait alors en miroir avec la victime de l’addiction, en exigeant de sa part une réponse tout aussi rapide (le sevrage) que sa propre consommation impulsive. Une autre approche a pris le relais. Elle s’intéresse plus aux rapports entre la façon de consommer et la personne qui consomme qu’à la substance consommée elle-même. Elle distingue entre les usages habituels, abusifs et dépendants.
Cette nouvelle perception identifie la toxicomanie avant tout comme une maladie et place la personne au cœur de la prise en charge. Elle intègre l’idée que certains usagers n’ont pas forcément envie d’aller chercher les origines de leur mal-être et qu’il n’est pas nécessaire de les précipiter dans des remaniements psychiques internes qui peuvent les fragiliser encore plus. Le soutien ne se résume pas à la seule thérapie et la thérapie n’est pas le seul soutien.
Ce n’est pas là, la seule et unique entrée possible pour comprendre la toxicomanie. C’est celle qui peut être utilisée notamment quand on constate que les sevrages en opiacés ont échoué. La relation entre le malade et son soignant est avant tout une rencontre entre une personne qui souffre et une autre susceptible de soulager sa souffrance. « Il n’y a pas de supériorité d’une méthode sur une autre, seulement une recherche d’adéquation entre les besoins de l’usager et ce que le thérapeute pourra proposer » (p.89).
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