N° 815 | Le 2 novembre 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Il est rare qu’une maladie possède un certificat de naissance. Il est encore plus rare qu’elle se soit si rapidement transformée en pandémie et soit devenue la plus grande catastrophe sanitaire que l’humanité ait connue. Entre 1981 et 2006, elle a fait 75 millions de victimes à travers le monde ; 25 millions en sont mortes. En 2005, 4,9 millions de personnes ont été nouvellement infectées et 3,1 sont décédées.
L’ouvrage qu’Éric Favereau consacre à cette question donne la parole tant aux acteurs de premier plan qu’à d’autres, plus anonymes, les uns et les autres témoignant avec beaucoup d’intensité et d’humanité.
Tout débute à Los Angeles entre octobre 1980 et avril 1981, par le cas de malades hospitalisés pour une pneumonie, affection que l’on sait bien soigner et qui n’implique d’habitude pas de conséquences graves… sauf en cas de forte immunodépression. Ils sont tous jeunes (entre 29 et 36 ans) et homosexuels. Quand l’alerte est donnée en 1983, les premières réactions des milieux intellectuels évoquent surtout la crainte d’un retour à l’ordre moral. Pourtant, le nombre de cas se multiplie.
En France, on en compte 573 en 1985, 1221 en 1986 et 3073 en 1987. Faute de traitement efficace, le seul moyen disponible pour faire face est la prévention. Geste banal aujourd’hui, mais justifiant alors d’un certain courage, Michèle Barsach, ministre de la Santé, décide d’autoriser la publicité sur le préservatif (interdite jusque-là, pour favoriser la natalité française) et de libéraliser la vente des seringues dans les pharmacies. Mais elle refusera toujours de rendre obligatoire le dépistage de cette infection. C’est que l’époque est terrible pour les malades. Il n’est pas rare qu’ils soient stigmatisés dans les hôpitaux : des pastilles rouges posées à la porte de leur chambre, sur leur dossier ou sur leur lit, leurs couverts et leur linge nettoyés à part et leur chambre désinfectée fréquemment…
L’irruption du Sida ne va pas bouleverser que les personnes qui en sont atteintes. Elle va aussi transformer les pratiques tant soignantes que sociales. Jamais dans l’histoire de la maladie les malades n’ont eu un rôle aussi déterminant : des associations les regroupant se mobilisent très tôt, s’imposant comme interlocuteurs privilégiés. Èmerge progressivement le concept de santé communautaire qui désigne l’appropriation d’enjeux et de stratégie de santé publique par des groupes vivant dans des conditions particulières. L’appel qui est fait à la responsabilisation des malades va changer l’approche à l’égard des toxicomanes qui voient leur addiction traitée comme une maladie et non plus comme une difficulté psychologique.
En ce vingt-cinquième anniversaire, même si sa cause a été identifiée, les moyens de diagnostic et de traitement ont été mis en œuvre et le taux de nouvelles infections est en baisse notable, « nous n’avons pas d’alternative : nous allons vivre des dizaines d’années avec le Sida » conclut Peter Piot, directeur d’Onusida.
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