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🖋 Autoportrait de travailleur social âą Julie (1), 33 ans, cheffe de service dans une structure accompagnant des mineurs isolĂ©s Ă©trangers
« La norme est toujours dĂ©finie par le plus grand nombre. Mais que fait-on de ces autres ? Ils sont lĂ , ils existent. J’ai voulu ĂȘtre lĂ pour eux et avec eux. »
Quel mot, adjectif, associez-vous spontanément au travail social ?
Persévérance.
Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?
Je lâai choisi parce que je voulais aider ceux qui sont dans le systĂšme mais rejetĂ©s par lui. Mes expĂ©riences de vie en France et Ă l’Ă©tranger m’ont trĂšs vite donnĂ© le goĂ»t de l’Ă©galitĂ© des chances et amenĂ©e Ă croire que chacun pouvait avoir sa place dans la sociĂ©tĂ©. Le mĂ©tier d’Ă©ducateur ne consistait pas Ă vouloir changer la personne et totalement le systĂšme mais je pensais pouvoir faire fonction de passerelle ou monter des projets servant de ponts.
La norme est toujours dĂ©finie par le plus grand nombre. Mais que fait-on de ces autres ? Ils sont lĂ , ils existent. J’ai voulu ĂȘtre lĂ pour eux et avec eux. J’ai donc commencĂ© ma carriĂšre en tant qu’Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e.
Quelle formation avez-vous suivie ?
Une formation Ă l’INFA Ă Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne) qui mâa permis de dĂ©crocher un DiplĂŽme dâĂtat dâĂ©ducateur spĂ©cialisĂ© (DEES). Jâai ensuite obtenu un Certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unitĂ© d’intervention sociale (Caferuis).
Jâai aussi suivi les formations proposĂ©es dans les diffĂ©rentes associations dans lesquelles jâai travaillĂ© : la bientraitance et la bienveillance ; les risques psychosociaux ; avoir un parent nĂ©vrosĂ© ; accompagner le traumatisme ; exil et traumatismes ; travailler avec les contes ; art et autisme... Et sĂ»rement plein d’autres :)
Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
Un jeune Ă©tait assez difficile sur un dispositif : fugues, vols, dĂ©linquance, usage de drogues. Je lui ai proposĂ© de partir cinq jours en vacances Ă la campagne avec deux Ă©ducateurs. Que cela a Ă©tĂ© difficile ! Une grande prĂ©paration sur cinq mois... Au moment de monter dans le minibus, il a refusĂ©. Il ne voulait pas partir loin des trafics, loin de son quartier, de ses repĂšres. Les Ă©ducateurs sont venus me chercher. Madame, X. ne veut plus partir ». Je lui ai donnĂ© un paquet de cigarettes en lui demandant que ce soit le seul du sĂ©jour, en prĂ©cisant que je faisais une exception pour lui. Et je lui ai dit : « fais-moi confiance, tu vas ĂȘtre heureux lĂ -bas ». Le moment fabuleux : il rentre du sĂ©jour, me sert un cafĂ© dans mon bureau, s’assoit sur la chaise et me sourit. Il me regarde longtemps et me dit spontanĂ©ment : « Madame, c’Ă©tait comme dans mon pays, il y avait un chien, je suis heureux Madame ». Son visage Ă©tait dĂ©tendu. Il avait pu se relĂącher durant quelques jours, gagner un peu de souffle pour tous les longs combats qu’il aurait Ă mener. Sa vie n’a pas changĂ© mais il s’Ă©tait retrouvĂ© Ă nouveau dans une situation de dĂ©tente. Si je devais donner Ă nouveau toute cette Ă©nergie et cette patience Ă ce jeune, je le referais, juste pour revoir son sourire et sa joie d’adolescent retrouvĂ©e.
Le pire ?
J’ai acceptĂ© d’accueillir dans mon service un adolescent poly addictif qui a commis de nombreux passages Ă l’acte dans la rue et des violences sur un Ă©ducateur. La justice est lente, donc il avait besoin d’ĂȘtre accueilli. Je prĂ©cise dans son contrat de sĂ©jour qu’il ne peut pas utiliser d’armes ou dâoutils. Provocateur, il me demande : « mĂȘme pas une scie ? ».
Il passe quelques semaines dans le service avec une équipe trÚs présente qui réfléchit quasiment tous les jours à adapter le planning à ce jeune. Nous avons des réunions réguliÚres avec la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Une nuit, il explose. Dâastreinte, je me rends dans le quartier oĂč il a ses habitudes. Le jeune est en sang, il s’est lacĂ©rĂ© le ventre. Nous avons une longue discussion, nous appelons sa mĂšre par WhatsApp. Le travail Ă©ducatif commence Ă peine.
Une autre fois, la police nous appelle, le jeune a sĂ©questrĂ© une mineure dans son studio. Nous lui tĂ©lĂ©phonons. Il ne rĂ©pond pas. Quelques heures plus tard, il arrive dans le service... avec une arme Ă feu. Nous faisons sortir les autres jeunes, une Ă©ducatrice appelle la police. La plus grande partie de lâĂ©quipe est dehors. Une Ă©ducatrice reste avec moi pour le calmer, pour le ramener Ă la raison. Nous n’y arrivons pas. Il s’enfuit. La police n’est pas venue. Lâaide sociale Ă lâenfance (Ase) le fait « sortir des effectifs ». L’Ă©quipe a peur. Les jeunes aussi. Et je me dis que nous n’avons pas rĂ©ussi Ă protĂ©ger ce jeune. Ăchec pour lui, Ă©chec pour nous, Ă©chec pour moi. Je m’en souviendrai. Ce jeune est prĂ©sent dans ma mĂ©moire pour tenter de ne pas commettre les mĂȘmes erreurs.
Quel est votre livre de chevet ?
La nuit, jâĂ©crirai des soleils de Boris Cyrulnik (Ăd. Odile Jacob, 2019).
(1) Le prénom a été changé.
Retrouvez les précédents autoportraits
🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Ăducateurs et dâun lieu de vie et dâaccueil
🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative
🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes
🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain
🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur
🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)
🖋 Sadek Deghima, chef de service dâun club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e
🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice
🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents
🖋 Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social
🖋 Laure, assistante de service social en service spĂ©cialisĂ© « Familles »
Vous ĂȘtes tentĂ©s par lâexercice dâautoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expĂ©rience ? NâhĂ©sitez Ă nous contacter Ă lâadresse suivante : katia.rouff@lien-social.com