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• Portrait : À la rencontre d’anciens enfants placés - Jeanne

Lucile Barbery, ancienne éducatrice spécialisée de l’aide sociale à l’enfance devenue photographe, est allée à la rencontre des premiers concernés par la protection de l’enfance : les enfants placés devenus adultes.

« Ils ont des choses à nous dire : Qu’est-ce qui les a tenus ? A quoi se sont-ils accrochés ? Quels ont été les obstacles rencontrés ? La violence n’est jamais bien loin, du petit acte d’apparence anodine aux faits les plus intolérables. Ils se sont majoritairement tus. Aujourd’hui, Leurs voix s’élèvent, se rejoignent. Tout en nuances et finesse. Aujourd’hui ils nous font don de leur savoir, de leur expérience, d’une part de leur vie », explique-t-elle.

Elle a rencontré une vingtaine de personnes*, les a photographiées dans un lieu de leur choix, « un lieu signifiant pour elles ». Elle a écouté leur récit de l’adulte qu’elles étaient devenues, leur regard sur la protection de l’enfance, leur témoignage a été écrit avec les personnes et elles lui ont confié une photo d’elles prise durant le placement. Après six premiers portraits publiés au début du printemps, nous reprenons la série avec six nouveau portraits, aujourd’hui retrouvez Jeanne.

* Les prénoms ont été modifiés.


JEANNE

Jeanne, 43 ans, à l’association où elle est bénévole à Vaulx-en-Velin (69). (c) Lucile Barbery

A partir de mes 4 ans, à la demande de mon père, j’ai été dans une famille d’accueil avec ma sœur, pendant 14 ans. Jusqu’a 9 ans, on était bien intégrées dans le village. Mais quand mon assistante sociale a décidé de m’envoyer dans ce collège en ville, j’ai perdu tous mes repères. Là bas c’était des enfants de riches, ils me repoussaient lorsque j’allais vers eux.

Dans ma famille d’accueil, on se faisait taper du matin jusqu’au soir. A 11 ans j’ai voulu dénoncer les maltraitances auprès de ma prof de catéchisme qui était aussi inspectrice de la DDASS. Tout s’est retourné contre moi. La famille d’accueil disait que je mentais. J’ai été convoquée avec ma maman par l’inspectrice qui m’a dit que j’étais dans une bonne famille d’accueil, que je ne devais pas parler sur elle. Je me suis renfermée sur moi. J’ai commencé à me faire harceler au collège. Mal habillée, je n’avais pas droit à la douche, ils le sentaient, ils me frappaient. J’avais dénoncé, on ne m’avait pas cru, je ne pouvais plus rien dénoncer. L’assistante sociale venait une fois tous les 15 jours, ma tante [la famille d’accueil] était toujours là, on ne pouvait pas parler. L’assistante sociale a commencé à me dire que je déconnais. Je ne supportais plus l’autorité. On me donne le rôle de la fille méchante ? Je deviens méchante pas de souci !

De mes 11 à mes 18 ans, je me suis accrochée à mes rêves ; je me voyais sur scène…c’est ça qui m’a tenu. A 29 ans, je suis retournée au service pour leur faire reconnaitre que j’avais été maltraitée par ma famille d’accueil…tout le temps on me rabâchait les erreurs de mes parents : « Tes parents ils n’étaient pas très futés ; ton père j’en ai pitié… ». Je suis retournée à la charge à 34 ans. Enfin à 41 ans, j’ai été reçue par celle qui gère les dossiers des anciens enfants placés, je lui ai dit « je veux que ce soit écrit dans mon dossier ». Ce sont des livres qui m’ont sauvé la vie. C’est ce qui m’a permis d’être la femme que je suis, de développer de l’empathie. On peut transformer sa vie, avançons de façon solidaire. Ce sont aussi les rencontres que j’ai faites à Paris dans le milieu du spectacle. Je suis fière de moi, je suis généreuse, gentille, bienveillante mais je sais m’imposer. Je ne serai plus jamais la victime, plus jamais.

Jeanne, six ans, en famille d’accueil. (c) DR