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• Portrait : À la rencontre d’anciens enfants placés - Naël

Lucile Barbery, ancienne éducatrice spécialisée de l’aide sociale à l’enfance devenue photographe, est allée à la rencontre des premiers concernés par la protection de l’enfance : les enfants placés devenus adultes.

« Ils ont des choses à nous dire : Qu’est-ce qui les a tenus ? A quoi se sont-ils accrochés ? Quels ont été les obstacles rencontrés ? La violence n’est jamais bien loin, du petit acte d’apparence anodine aux faits les plus intolérables. Ils se sont majoritairement tus. Aujourd’hui, Leurs voix s’élèvent, se rejoignent. Tout en nuances et finesse. Aujourd’hui ils nous font don de leur savoir, de leur expérience, d’une part de leur vie », explique-t-elle.

Elle a rencontré une vingtaine de personnes*, les a photographiées dans un lieu de leur choix, « un lieu signifiant pour elles ». Elle a écouté leur récit de l’adulte qu’elles étaient devenues, leur regard sur la protection de l’enfance, leur témoignage a été écrit avec les personnes et elles lui ont confié une photo d’elles prise durant le placement. Après six premiers portraits publiés au début du printemps, nous reprenons la série avec six nouveau portraits, aujourd’hui retrouvez Naël.

* Les prénoms ont été modifiés.


NAËL

Naël, 24 ans, à son domicile à Paris. (c) Lucile Barbery

J’ai été placé à 2 ans. J’ai tout mis de côté, j’ai oublié, mais la route le jour où ma mère m’a emmené au foyer, je suis capable de la décrire dans les moindres détails. Ma mère avait demandé de l’aide. En famille d’accueil, j’avais tout ce que je voulais mais ils avaient des méthodes d’éducation assez moyenâgeuses. A 3 ans, j’ai mangé des œufs, je les ai vomis. J’ai dû remanger ce que je venais de vomir. Je ne leur en veux pas, j’ai encore des contacts avec eux.

En foyer après, je n’étais pas adapté à la vie en collectivité ; la violence aussi. Les éducateurs ont toujours essayé de faire au mieux. Mais ils rendaient des comptes à une nana. Elle ce qui l’intéressait, c’était le profit. Même au niveau du temps que les éducateurs pouvaient nous accorder. Les éducs n’étaient pas là plus de trois fois par semaine. Je prenais énormément de temps à la femme de ménage parce que je lui parlais tout le temps.

On vit mal le placement. Ce n’est pas adapté ; parce que ça nous isole des autres, parce qu’on n’a pas cessé de me coller des étiquettes. J’avais celles du pédé, de la victime, de l’enfant placé, du sous doué. Ce qui importe c’est que ce n’est pas de notre faute. Si on fait des fondations merdiques, faut pas s’étonner que la maison se casse la gueule. En rentrant chez moi j’étais suivi par une assistante sociale qui voulait m’insérer à tout prix. Elle proposait que j’aille faire des stages sur des chantiers, alors que moi j’étais un créatif.

Il y a aussi des bons souvenirs. Dans la famille d’accueil, pour les carnavals, elle me faisait tous mes costumes. Avec ma mère aussi, j’ai appris la couture. Après pour moi ça a été le graal de bosser pour Givenchy. J’ai toujours été attiré par l’univers du luxe. Je suis assez fier de ce que j’ai accompli. J’ai l’habitude de compter que sur moi. Je suis constamment seul. Je donne une image assez froide, distante, c’est une carapace. J’ai peur après d’être trop proche, Je porte toujours du Versace, ça me permet de me sentir « fierce », féroce. J’ai compensé mon manque d’amis par des choses matérielles. Ce sont des artifices qui me permettent de me sentir entouré. Chaque bijou a une histoire, c’est comme des talismans.

Naël, 4 ans, en famille d’accueil. (c) DR

Retrouvez les portraits de :

Gabrielle
Romain
Hélène
Noé
Elodie
Samuel
Marc
Xavier