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• TERRAIN - Aide sociale à l’enfance : vécus de l’intérieur

Le 28 janvier, la dernière émission de Pièces à conviction était consacrée à la protection de l’enfance. Elle pointait notamment le Conseil départemental des Hauts-de-Seine qui a placé 600 mineurs à l’hôtel, livrés à eux-mêmes. Lien Social donne la parole dans son numéro 1291 aux professionnels de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de ce département. Mais, l’embolie que connaît l’ASE n’est malheureusement pas limitée à cette seule collectivité de la région parisienne. Comme tant de départements, la Loire-Atlantique est aussi concernée. Ce témoignage en fait une inquiétante description.

Par Gwenaëlle, cadre ASE (44) *

« En regardant ce reportage, j’ai me suis fait la réflexion qu’il y avait beaucoup de différence, avec ce qui se passe dans notre département. Mais, si l’hébergement en hôtel a quasiment disparu en Loire-Atlantique, c’est pour une bonne raison : les gérants ne veulent plus accueillir des jeunes de l’ASE, échaudés par les situations immaîtrisables. La direction a reconnu récemment qu’il y avait une centaine de mineurs en danger que les juges des enfants nous avaient confiés en vue d’un placement et qui ne l’étaient pas et une autre centaine qui étaient accueillis dans des lieux ne leur convenant pas. Et cela est tout particulièrement vrai pour des enfants au profil atypique souffrant de troubles du comportement particulièrement lourds. Quand ils arrivent dans des collectifs qui ne sont pas équipés pour accompagner leurs troubles, ils les mettent en échec. On ne peut pas demander à des éducateurs de tout gérer, en compensant notamment la carence de soins psychiatriques ou psychologiques. Il faut souvent un an d’attente pour que l’enfant soit reçu dans un centre médico psychologique qui pourrait contribuer à apaiser ses souffrances. Alors, ces enfants font tout exploser. Et ils subissent rupture sur rupture : fin de prise en charge dans un établissement, arrivée dans le suivant qui jette l’éponge à son tour. L’enfant va de plus en plus mal. Où qu’il aille le risque est grand qu’il épuise encore plus vite celles et ceux qui l’accueillent. On n’arrête pas de nous parler de la nécessité de sécuriser les parcours et de favoriser la continuité d’un accompagnement qui doit s’inscrire dans la durée, pour répondre aux besoins de l’enfant. Et, à notre corps défendant, nous faisons exactement l’inverse par manque de lieux d’accueil adaptés. L’ASE et l’agence régionale de santé, qui pourraient travailler ensemble pour apporter des réponses communes, sont surtout préoccupées à se renvoyer la responsabilité de la situation, chacune se cantonnant à son strict secteur d’intervention, alors que beaucoup d’enfants relèvent des deux ! Cette pression constante pèse sur les travailleurs sociaux ASE qui sont très attachés à leur travail. Chacun essaie d’accomplir sa mission au mieux. C’est ce fort investissement qui crée une vraie frustration de ne pas pouvoir assurer un travail de qualité. Et si la pandémie a aggravé la situation, ce n’est pas elle qui est à l’origine des difficultés. Chacun se dit que ça ne va pas pouvoir continuer ainsi et pourtant rien ne change. Les arrêts de travail s’accumulent, accroissant encore plus la charge de travail de ceux qui restent. Il serait facile de mettre en accusation la direction. Mais, j’ai le sentiment que si personne, à aucun niveau de la hiérarchie, n’est dupe de ce qui se passe et en est très peu satisfait, il y a un sentiment présent partout : l’impuissance et l’impression que rien ne changera. »

* Le prénom a été changé

- Retrouver le reportage sur les Hauts-de-Seine et les quatre autres témoignages de l’ASE 44 - rubrique Fabrique du Social du n°1291 réservée aux abonnés

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