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• TERRAIN - Journal de bord - Distance sociale, distanciation et coopération : défis à venir du travail social (2)
Par Gilles RIVET – COPAS.
Ces différentes approches semblent partager un idéal de communauté de projet. Mais les obstacles sont nombreux qui interdisent de fait, le plus souvent, la réalisation de cet idéal. À commencer par cette fameuse asymétrie de relations et de pouvoir, bien réelle, entre des personnes fragilisées et les différents acteurs d’institutions dont ces personnes restent dépendantes. N’oublions pas non plus l’énergie et le temps nécessaires pour entamer la véritable révolution culturelle que représente la coopération, associant les personnes bénéficiaires, à un projet commun, temps et énergie aujourd’hui principalement investis dans la réponse à des impératifs d’une gestion efficiente. Enfin, parler de révolution culturelle, c’est admettre que l’obstacle le plus solide est peut-être cet attachement à cette distanciation qui parait consubstantiel au travail social. S’il n’existe aucune solution magique, la voie organisationnelle peut cependant ouvrir des horizons. Certes, penser la création d’un établissement ou d’un service d’emblée comme un projet commun, co-construit par les différentes catégories d’acteurs potentiellement impliqués — qu’ils soient professionnels, élus politiques, bénéficiaires, habitants d’un territoire, prestataires de services… —, ne constitue pas une démarche totalement inédite dans l’histoire contemporaine de l’action sociale et de la solidarité. Mais il existe depuis 2001 un support juridique, la Société coopérative d’intérêt collectif, permettant d’incarner un tel projet de co-construction. Pour aller à l’essentiel de ce qui nous occupe ici, la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) apporte au statut 1947 des coopératives une innovation majeure : le multi-sociétariat. Plus précisément, toute SCIC doit impérativement être composée d’au moins trois catégories d’associés, parmi lesquelles obligatoirement les salariés et les bénéficiaires. Alors que 741 SCIC étaient recensées en 2017, 86 intervenaient dans le secteur « services de proximité, santé, social, handicap, petite enfance, hébergement » sur les 627 répertoriées en 2016, soit un peu moins de 14%3. Trois exemples pour illustrer ces premières expérimentations. Le 1er novembre 2016, une maison de retraite gérée sous statut SARL classique à Cerizay, dans les Deux-Sèvres, s’est transformée en SCIC SAS, sous l’impulsion de l’ADMR, de la ville de Cerizay et d’une dizaine de salariés. Le 5 décembre 2017, le chantier d’insertion Les Jardins de Volvestre, en Occitanie, s’est transformé en SCIC, dont les statuts ont été signés par les 52 sociétaires, dont 4 collectivités locales, des salariés permanents et en insertion, des agriculteurs ainsi que des partenaires socio-économiques notamment dans le domaine de la formation. Enfin, le 21 décembre 2018, l’entreprise adaptée SAPRENA, en Loire Atlantique, s’est transformée en SCIC, dans laquelle l’ADAPEI reste un acteur majoritaire, outre les 80 salariés, sur 360, qui ont choisi de devenir associés.
Les exemples qui viennent d’être évoqués apportent donc au moins deux innovations majeures au travail social : la première est l’introduction d’une égalité radicale entre professionnels associés et usagers-associés, au nom du principe « un homme/une voix » ; la seconde est l’institutionnalisation d’un projet commun sous la forme coopérative. La SCIC ne possède pas, pour autant, l’exclusivité de cette innovation. Lorsqu’une association décide de modifier ses statuts afin d’ouvrir la possibilité d’adhésion à ses salariés et aux usagers, elle propose au travail un cadre assez similaire, la participation au capital en moins. Dans ces deux formes d’organisation, le travail social qui est susceptible de voir le jour enchâsse l’accompagnement social construit entre un professionnel et un bénéficiaire dans une relation d’égalité entre deux associés. Et c’est dans ce cadre inédit que devrait alors être repensée la distanciation. En effet, si cette dernière a permis au travail social de construire des pratiques d’une professionnalité rigoureuse et respectueuse des personnes, force est de constater que le rapport dominant/dominé n’en a pas été fondamentalement modifié.
Les vécus du confinement, avec leurs expériences relationnelles improvisées par nécessité, viennent se greffer sur des réflexions au long cours concernant la nature de la relation d’aide propre au travail social, mais également sur des expérimentations organisationnelles récentes, mais souvent confidentielles. Il est ici proposé de leur donner une nouvelle visibilité en tirant enseignement d’une crise qui secoue et marquera sans doute durablement les acteurs du social. C’est peut-être en établissant explicitement une jonction entre ces trois éléments — réflexion au long cours, expérimentations récentes, adaptations à la crise — que l’on sortira au mieux de cette période troublée, en franchissant un pas de plus vers un travail social fraternel…
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