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• TERRAIN - Journal de bord - Finir ensemble ? Episode n°6
Par Christian Glasson, Educateur spécialisé.
De l’absence à la juste présence
Durant le confinement, les préconisations sanitaires ont primé sur les droits de visites des enfants auprès des parents. Elles furent suspendues pour la plupart. Pourtant, nous avons constaté que de façon paradoxale l’expression d’un manque de la part des enfants fut quasiment absent. Je pouvais observer combien, dans une large mesure, ils furent même apaisés.
En échangeant entre nous à propos de cette situation, un certain nombre de professionnels réfléchirent à la pertinence d’un contact direct parents/enfants à tous prix, quoi qu’il en coûte aux uns et aux autres, en termes de désolation ressentie de façon répétitive. Et si en favorisant ce droit de visite, nous ne renforcerions pas, par la même occasion, le sentiment de culpabilité chez les enfants, au vu de ce qui leur paraît impossible à vivre ? Les conditions du confinement n’ont-elles pas reposé tout simplement les questions la fois du maintien du lien parents-enfants, du manque supposément vécu par les enfants vis-à-vis de leur famille, ainsi que de « la juste assez bonne présence » ?
Un échange téléphonique entre un enfant et sa mère vint illustrer ce propos :
Le parent : « Tu me manques ! »
Le fils : « Je te manque aussi. »
L’enfant ne vient pas nécessairement exprimer cet état de manque. Ce serait en réponse à
l’adulte qu’il viendrait en parler, en écho de ce que son parent lui dit tout en abondant dans
son sens, en renforçant son symptôme. Le parent viendrait raviver la béance alors que
l’enfant parvient à se satisfaire d’une « assez bonne distance, sans trop de présence ».
Toutefois, afin de rapprocher les uns et les autres, un dispositif assorti d’un planning de coups de téléphone a été instauré ainsi que de la mise en place d’appels en vision. Ici dans ce cas de figure, ces dispositions venaient surtout à nouveau rassurer les parents exprimant un réel besoin d’avoir accès à la perception physique de leurs enfants.
L’animation dans les rues décrut,
pourtant de quelques habitations sortaient des cris,
autant d’expressions de la difficulté de rester ensemble.
De la lassitude au besoin d’échange avec l’extérieur
Fernand Deligny nous dit que « cette petite parcelle tout à fait minuscule du globe terrestre où marchent et courent des enfants dont les trajets sont tracés, ligne d’erre, ne prétend pas ensemencer toute la surface et ne tient pas du tout à une globalité où l’absolu idéologique se retrouverait endémique. » (16) Ce que nous faisons, ici et maintenant, n’est pas forcément transposable ni dans le temps, ni dans l’espace. Ailleurs, il indique qu’« une tentative n’est pas une institution en ce sens que la tentative est un petit ensemble, un petit réseau souple qui se trame dans la réalité comme elle est, dans des circonstances comme elles sont, allant même à la rencontre d’évènements assez rares, qui ne peuvent pas être créés arbitrairement. » (17) Toute organisation s’enkyste très vite si elle n’est pas alimentée par ce qui vient au jour le jour. Ce qui a fonctionné hier ne fonctionnera pas nécessairement aujourd’hui. C’est peut-être ce que nous pensions à partir de cette nouvelle donne inédite. L’organisation du départ serait forcément pérenne. Je ressentais une certaine lassitude, dès la troisième semaine. Il s’agissait d’impulser autre chose, mais quoi ?
C’est en échangeant à ce propos, au téléphone, avec l’intervenant en atelier de conceptualisation de la pratique, qui nous octroie une écoute bienveillante venue de l’extérieur, qu’il m’est apparu important de m’inspirer justement de Deligny et de Freinet avec ses correspondances (18). À notre façon, pour une raison sanitaire, nous sommes, les enfants et les professionnels, reclus derrière la délimitation de l’établissement où nous exerçons, tout comme eux le furent pour des questions d’absence de voies de communication. À leur manière, nous nous sommes dit qu’il s’agissait de nous nourrir d’autres expériences, en cette période si particulière, de faire sentir aux enfants et aux éducateurs que nous n’étions pas isolés dans cette situation, tout en les faisant s’exprimer au sujet de ce que nous vivions et ressentions. Cette extériorité et ce partage du vécu de chacun, nous permettraient à la fois de nous sentir moins isolés et de nous apercevoir que nous vivions des circonstances particulières. Une stagiaire parmi nous s’est emparée de cette idée et a entrepris cet échange. Elle se mit à récolter les productions (dessins, écrits) des enfants et adultes qui le désiraient, dans un carton faisant office de boîte aux lettres, avant de l’amener directement à destination d’une maison d’enfants par l’intermédiaire d’une de ses connaissances. En retour, nous reçûmes leurs créations par le même procédé : de main à la main, de personne à personne. Cette expérience pourrait se multiplier, se prolonger. Car outre toutes les peurs, les inquiétudes, par-delà les manques de gants et de masques, ici et là, qui furent et sont, à n’en pas douter, source de stress, de tensions interpersonnelles que cette crise a pu susciter, que ce soit entre les enfants, entre les adultes, ou entre les enfants et les adultes, il s’agit de mon point de vue de nous enseigner les uns les autres, de ce que cette situation a produit dans nos pratiques, et de ce que nous pouvons en retenir pour la suite. En effet, "on ne peut savoir, si après le confinement, les conduites et idées novatrices vont prendre leur essor (…). "(19) Ou allons-nous nous laisser submerger par le retour à l-a-n-o-r-m-a-l-e ?
L’animation dans les rues décrut,
pourtant de quelques habitations sortaient des cris,
autant d’expressions de la difficulté de rester ensemble.
Post-scriptum : Nous l’appellerons du nom qu’elle porte sur une bague : Magalie. Elle nous a rejoint dès les premiers jours du confinement. Depuis elle ne nous a plus quittés. Malgré les tourments qu’elle a subis, infligés par quelques enfants faisant montre de trop d’affection possessive, se l’arrachant à qui mieux-mieux, lui courant derrière. Elle s’est même pris un ballon à pleine vitesse, il est vrai qu’on ne se promène pas impunément sur un terrain de foot. Les enfants ont fini par adopter un savoir-faire avec elle, de sorte qu’elle n’hésite pas à les approcher, aucunement farouche.
Ces derniers jours, lorsque tout le monde se retrouve à l’intérieur de la maison, elle s’aventure jusqu’à la porte d’entrée semblant ne pas comprendre que nous la laissions seule la nuit dehors. Les enfants, au fil des jours, lui prodiguent tous les soins adéquats, ils pensent également à la nourrir. Chaque matin c’est à qui trouvera le dernier œuf pondu. La poule, à sa manière, est confinée en trouvant refuge dans notre maison d’enfants, malgré le tumulte orchestré au quotidien par les 26 enfants restés parmi nous, durant cette période inédite. Elle donne à voir, à elle toute seule, tout l’intérêt que peut présenter la présence d’un animal parmi les enfants, au sein d’une structure comme la nôtre, en termes d’évolution de leur savoir-être, avec ce qui leur paraissait à priori étrange.
(16) Fernand Deligny, Œuvres, Carte prise et carte tracée, L’Arachnéen, Paris, 2007, p.138.
(17) Fernand Deligny, Œuvres, L’Arachnéen, Paris, 2007, p.705.
(18) C. Freinet, H. Alziary, (1945), Les correspondances interscolaires, B.E.N.P., n°32, éditions de l’Ecole Moderne Française, « J’ai senti là, tout de suite, les possibilités
(19) Edgar Morin, Le Monde du 19-20 avril 2020, pages idées, Cette crise devrait ouvrir nos esprits depuis long-temps confinés sur l’immédiat.
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Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.
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