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• TERRAIN - Travailler en réseau
Par Jérôme Bouts, Travailleur social, Directeur général d’association
Il faut commencer par sortir du réflexe « réseau » qui serait susceptible par nature de répondre au manque de moyens mis à disposition. Faire réseau ne réduit pas en tant que telles les difficultés. Autre précaution face à un concept devenu parfois une formule creuse, l’articulation entre partenaires ne peut être vraiment efficiente que si chacun d’entre eux l’est individuellement. La mise en réseau de dysfonctionnements risque au contraire par addition, d’augmenter les difficultés. En outre, la condition première à l’efficience d’un réseau est la non-concurrence des éléments du réseau ; chacun étant sincèrement au service de chacun des autres membres. Chaque partenaire doit y trouver son compte, sans se sentir instrumentalisé. Un autre écueil constitue lui aussi un obstacle à ce fameux travail en réseau. Pour favoriser l’efficacité de ses actions, nos sociétés ont eu, depuis longtemps, recours à la division du travail, chaque unité fonctionnant autour d’une tâche particulière et/ou un territoire, un domaine qui lui était dévolu. Pour mener à bien ce qui lui est demandé, chaque service a tendance à se structurer autour d’une identité de groupe qui le valorise, le « narcissise » et le convainc de l’excellence de son fonctionnement et de ses membres. On est là dans cette distinction, auquel Pierre Bourdieu avait consacré un livre, qui forge à partir de soi, les jugements élaborés à l’égard des autres. Cette distinction est nécessaire dans nos collectifs de travail ; le problème étant qu’elle s’opère souvent au détriment de l’autre empêchant la reconnaissance de celui-ci. Le risque est fort alors de s’isoler dans une citadelle que l’on va chercher à protéger contre les menaces extérieures par appartenance, par affiliation excessive ici. Charles De Gaulle sur un registre autre mais similaire disait : « Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres. » Dans le travail social, comme ailleurs, la tendance est rapidement à se considérer meilleur que les collègues d’à côté. Ils sont volontiers soupçonnés, sinon accusés de mal faire ou de ne pas être à la hauteur. C’est à tout cela que se heurte le travail en réseau.
La première attitude est de lever les représentations et préjugés existant entre services. Cela implique de laisser les portes et les fenêtres de l’institution grandes ouvertes, de rendre lisible ce que l’on est ainsi que nos modalités de mise en œuvre. Cela signifie de ne pas considérer sa propre mission comme supérieure ou plus noble que celle de l’autre ; d’être convaincu d’une complémentarité constitutive. On peut prendre, comme illustration, la transmission des informations nécessaires au passage d’un usager d’un service à un autre. Trop souvent, les professionnels qui doivent passer le relais se considèrent comme propriétaires, sont rétifs à ces transmissions rendues pourtant obligatoires en tant qu’informations partagées nécessaires au parcours de l’enfant, peuvent même mettre en avant le sacro-saint secret professionnel … On est alors dans des attitudes rédhibitoires à la pratique de réseau. Celle-ci en effet s’appuie fondamentalement sur la reconnaissance de l’autre ; cet autre digne de ma gratitude. Il est autrement dit la condition de mon existence et je lui en suis grée. Ainsi on peut dire qu’un réseau qui fonctionne est celui dans lequel chacun est également utile à l’autre (au sens égal du terme) et ou chaque membre est capable de dire, chacun à son tour, que l’autre membre est le cas échéant plus compétent pour tel ou tel autre demande. Oui vraiment, question de reconnaissance …