LâActualitĂ© de Lien Social RSS
🖋 Autoportrait de travailleur social âą Sadek Deghima, chef de service dâun club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e
« En prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e, je mâappuie sur la mise en place dâactivitĂ©s collectives comme outils de valorisation des jeunes, pour parvenir Ă agir sur les identitĂ©s subies »
Quel mot, adjectif, associez-vous spontanément au travail social ?
Humaniste.
Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?
Jâai passĂ© mon enfance dans une citĂ© miniĂšre dans le nord de la France oĂč il nây avait pas grand-chose en termes dâactivitĂ©s pour les jeunes dans le quartier. Il nây avait pas de structure pour les aider dans leurs dĂ©marches dâinsertion sociale et professionnelle et ils Ă©taient souvent livrĂ©s Ă eux-mĂȘmes. Ce manque dâactivitĂ©s engendrait de lâoisivetĂ© et pouvait leur renvoyer un sentiment dâinutilitĂ© sociale. Puis un club de prĂ©vention sâest implantĂ© sur le quartier et des Ă©ducateurs de rue ont commencĂ© de sillonner les rues Ă la rencontre de leur public.
Jâai rencontrĂ© ces Ă©ducateurs dans la rue dans un premier temps, puis dans le cadre de diverses activitĂ©s. Ils me parlaient beaucoup de leur mĂ©tier (principe de libre adhĂ©sion et anonymat qui garantit la confiance) et jâai eu un dĂ©clic. En observant leurs mĂ©thodes de travail et leurs savoir-faire, jâai pris conscience que je voulais aller vers le mĂ©tier dâĂ©ducateur spĂ©cialisĂ© qui me permettrait de me rendre utile aux autres.
Quelle formation avez-vous suivie ?
Mon parcours mâa permis de passer par diffĂ©rentes Ă©tapes de formation tout au long de ma carriĂšre professionnelle. Jâai commencĂ© par la formation de moniteur- Ă©ducateur, ensuite jâai enchainĂ© quelques annĂ©es plus tard avec celle dâĂ©ducateur spĂ©cialisĂ©. Jâai poursuivi ensuite par une licence en sciences de lâĂ©ducation puis par le certificat dâaptitude aux fonctions dâencadrement et de responsable dâunitĂ© dâintervention sociale (CAFERUIS) et enfin par le certificat dâaptitudes aux fonctions de directeur dâĂ©tablissement ou de service dâintervention sociale (CAFDES).
Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
En 2011, en qualitĂ© dâĂ©ducateur spĂ©cialisĂ©, jâai accompagnĂ© un groupe de jeunes durant trois semaines, dans la rĂ©alisation d’un projet de solidaritĂ© internationale au Maroc, avec le club de prĂ©vention « Avenir de CitĂ©s » de Harnes (Pas-de-Calais).
Les jeunes que nous accompagnions se voyaient parfois renvoyer par la sociĂ©tĂ© une image nĂ©gative quâils finissaient par intĂ©grer. Les phĂ©nomĂšnes de stigmatisation dont sont victimes les jeunes issus des milieux populaires les amĂšnent Ă construire une image dĂ©valorisĂ©e dâeux-mĂȘmes, une identitĂ© nĂ©gative accentuĂ©e par les diffĂ©rents Ă©checs qui les freinent dans leur insertion. En prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e, je mâappuie sur la mise en place dâactivitĂ©s collectives comme outils de valorisation des jeunes, pour parvenir Ă agir sur les identitĂ©s subies.
Le projet consistait Ă rĂ©nover le local de l’association AMAL dans le village de Ait-Moussa prĂšs de Taroudant dans le sud du Maroc. Ce local Ă©tait un lieu d’Ă©ducation pour les femmes (alphabĂ©tisation, couture) et les enfants du village (crĂšche, lieu de socialisation...).
Jâai Ă©tĂ© marquĂ© par lâaccueil chaleureux des villageois avec qui les jeunes et moi avons partagĂ© le quotidien et appris Ă nous connaĂźtre et Ă nous « apprivoiser ». Jâai Ă©tĂ© surpris par les facultĂ©s dâadaptation des jeunes Ă ce nouvel environnement et Ă des conditions de vie « prĂ©caires » : faire chauffer de lâeau pour se laver, toilettes Ă la turque qui servaient Ă©galement de doucheâŠ
Ce sĂ©jour leur a permis de porter un autre regard sur eux-mĂȘmes, positif cette fois, qui a produit des effets bĂ©nĂ©fiques comme de retrouver un sentiment dâutilitĂ© sociale Ă travers leur implication auprĂšs des habitants du village.
Ă lâissue du sĂ©jour, ils se sont relancĂ©s dans leurs dĂ©marches dâinsertion sociale et professionnelle.
Le pire ?
Dans le cadre de mes fonctions dâĂ©ducateur spĂ©cialisĂ© dans un autre club de prĂ©vention dans le dĂ©partement du Nord, jâavais nouĂ© des relations avec un jeune que jâai accompagnĂ© durant de nombreuses annĂ©es. En situation dâĂ©chec scolaire, il avait Ă©tĂ© dĂ©scolarisĂ© trĂšs tĂŽt. Il avait participĂ© Ă de nombreux chantiers Ă©ducatifs et Ă des activitĂ©s diverses avec notre service. Au fil des accompagnements et des Ă©changes, il reprenait confiance en lui et se projetait dans le futur avec plein de projets (permis de conduire, appartement, travail, vie de coupleâŠ).
Lorsque jâai appris quâil avait mis fin Ă ses jours, je lâai trĂšs mal vĂ©cu. En fait, jâavais comme un sentiment de culpabilitĂ© car je lâavais croisĂ© quelques jours avant sa mort, nous avions longuement Ă©changĂ© de tout et de rien, nous avions beaucoup ri mais Ă aucun moment je nâavais perçu son mal-ĂȘtre. Jâai ressenti un profond sentiment dâĂ©chec que je garde en moi comme si jâavais « ratĂ© quelque chose » dans cette relation.
Quel est votre livre de chevet ?
Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, dâErving Goffman (Les Ă©ditions de minuit, 1975). Lâauteur dĂ©crit les effets produits par la stigmatisation sur lâidentitĂ© des individus.
Retrouvez les précédents autoportraits
🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Ăducateurs et dâun lieu de vie et dâaccueil
🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative
🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes
🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain
🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur
🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)
Vous ĂȘtes tentĂ©s par lâexercice dâautoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expĂ©rience ? NâhĂ©sitez Ă nous contacter Ă lâadresse suivante : katia.rouff@lien-social.com