LâActualitĂ© de Lien Social RSS
📝 Tranche dâĂ©ducâ : Fils ou fille deâŠ
Soirée riche en rebondissements au foyer.
Il est vingt-deux heures et je suis enfin seule au bureau, face Ă cet ordinateur qui appelle le compte rendu de cette folle journĂ©e, devant ce carnet de liaison dĂ©sespĂ©rĂ©ment vide qui attend dâĂȘtre gribouillĂ© sur ses cinq prochaines pages.
Ma cigarette me fait de lâĆil, une petite pause serait bien mĂ©ritĂ©e pour dĂ©compresser de cette soirĂ©e interminable, mais ⊠Ce qui est fait nâest plus Ă faire, comme dirait lâautre, plus vite bouclĂ©, plus vite rentrĂ©e.
Les neufs petits dorment enfin, non sans mal.
Cette soirée fut chaotique.
Seule pour gĂ©rer le quotidien, manque dâeffectif oblige, les minutes ont semblĂ©es ĂȘtre des jours. Quand lâun hurle Ă la guerre pour rĂ©tablir lâordre de passage aux douches ; que lâautre est pris de folie meurtriĂšre pour faire justice contre le petit voleur de tĂ©lĂ©commande ; que lâautre crie famine aprĂšs sa dure journĂ©e de labeur de classe Ă©lĂ©mentaire ; que lâautre dĂ©cide de fuguer devant la porte dâentrĂ©e pour faire entendre sa voix contre le gaspillage alimentaire dĂ©cidant dâĂ©tablir un sit-in ; et que le petit dernier de quatre ans joue Ă la bagarre contre les fantĂŽmes imaginaires du foyer faisant voler les chaises et assiettes du salon, on se sent bien seule.
Mais, finalement, à vingt-deux heures tout le monde est dans sa chambre, les yeux se ferment et cette journée touche enfin à sa fin.
Mes doigts filent sur lâordinateur quand des petits pas se font entendre.
Des petits pas, que dis-je, dans lâescalier jâentends comme une avalanche accompagnĂ©e de cris et de gĂ©missements.
Petit gars de six ans vient dâĂȘtre rĂ©veillĂ© par les ronflements provenant de la chambre Ă cĂŽtĂ©. Ă drame, Ă dĂ©sespoir, la soirĂ©e prend un nouveau tournant !
Il crie au scandale et attend que jâintervienne. Jâaurais peut-ĂȘtre dĂ» aller rĂ©veiller le ronfleur endormi, ça mâaurait Ă©conomisĂ© quarante-cinq minutes de crise, mais je nâaurais jamais vĂ©cu ce moment mĂ©morable.
Face Ă mon inertie une crise se dĂ©clenche sans que je ne puisse rien anticiper, Ă lâimage de cette soirĂ©e. Les feuilles volent dans le bureau, les pieds se dĂ©chainent sur le carrelage glacĂ©, les mots se font de plus en plus agressifs.
Petitou de six ans est prĂ©cautionneux avec le français, les accords sont importants. Il a bien saisi qu’on ne disait pas des chevals, ni un pestacle, aujourdâhui il dĂ©montrera tous ses talents de linguiste.
« LĂąche moi !!! Encu⊠(il marque une pause rĂ©flexive) ⊠lette !!! »
TrĂšs surprise et tenant Ă mon professionnalisme, je me canalise pour garder une posture adaptĂ©e, mais câĂ©tait sans compter la suite, un petit sourire se dĂ©croche quand mĂȘme de mon visage.
« ArrĂȘte de rire, câest pas drĂŽle "Fils de" ⊠(il marque une nouvelle pause rĂ©flexive, plus longue cette fois) ⊠Heu Ingrid, si je dis "fille de" ça marche aussi ?! »
Je nâai pu contenir un Ă©clat de rire explosif, face Ă ces mots et cette moue interrogative dâun calme olympien, en opposition complĂšte avec les quelques secondes prĂ©cĂ©dentes.
Ce français discordant a fait redescendre toute la colĂšre en lui et il est redevenu ce petit garçon de six ans curieux, Ă la soif dâapprendre⊠mĂȘme de vilains mots.
Soirée riche en émotions,
AprĂšs les rires, lâĂ©puisement,
Retour au lit tendrement,
Fin de journée révolution !