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🖋 Autoportrait de travailleur social âą Vincent Pallard, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© dans un service dâaccompagnement Ă©ducatif Ă domicile intensif dans lâIndre-et-Loire, formateur occasionnel et auteur (1)
« Mon contexte dâintervention mâa demandĂ© polyvalence, tricotage et sens de lâinnovation pour continuer Ă mâajuster aux rĂ©amĂ©nagements restrictifs de mes institutions. Tout en bricolant de nouvelles stratĂ©gies pour rĂ©pondre Ă la demande des personnes »
Quel mot associez-vous spontanément au travail social ?
Tant de mots me viennent Ă lâesprit pour dĂ©finir mon mĂ©tier que je nâen vois aucun dans mon champ lexical capable dâillustrer la singularitĂ© que je lui prĂȘte. Je mâattarderai donc sur une compĂ©tence que jâai dĂ» solliciter durant ma carriĂšre, qui a donnĂ© lieu Ă tout autant de merveilleux moments quâĂ de lourdes phases de frustration. Je lâappelle la compĂ©tence du « couteau suisse ». Jâentends par lĂ que mon contexte dâintervention - au niveau Ă©conomique, politique et social - mâa demandĂ© polyvalence, tricotage et sens de lâinnovation pour continuer Ă mâajuster aux rĂ©amĂ©nagements restrictifs de mes institutions. Tout en bricolant de nouvelles stratĂ©gies pour rĂ©pondre Ă la demande des personnes.
Cela a donné naissance à des instances de partage incroyables, à des supports situationnels atypiques pour entretenir la relation, et une originalité de tous les instants dans mes rendez-vous quotidiens.
En revanche, de cette nĂ©cessitĂ© dĂ©coulent frustration, impuissance et indignation, lorsque je corrĂšle le besoin des personnes aux moyens qui nous sont allouĂ©s pour y rĂ©pondre. Je dirai mĂȘme que tout ceci a parfois gĂ©nĂ©rĂ© de la souffrance, avec une identitĂ© professionnelle mise Ă lâĂ©preuve. Brel disait : « Jâai mal aux autres ». Je suis certain que cela parle Ă bon nombre dâentre nous, tandis que nous comptons le nombre dâinjonctions paradoxales qui meurtrissent la qualitĂ© de nos accompagnements et nous enlisent parfois dans la sidĂ©ration individuelle et collective.
Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?
Je lâai choisi au mĂȘme titre quâil mâa choisi. Jâai quittĂ© la fac oĂč jâĂ©tudiais lâanglais avec une soif de lâautre et de relation qui manquaient Ă mon processus de formation. Je sentais dĂ©jĂ que je voulais consacrer mon Ă©nergie Ă dĂ©fendre lâidĂ©e que, pour quâune institution quelconque puisse fonctionner, elle ne peut se faire lâĂ©conomie de prendre en compte la singularitĂ© des personnes qui la constituent. Câest aussi en mesurant le potentiel et les besoins des individus qui reprĂ©sentent sa communautĂ© quâune collectivitĂ© peut prospĂ©rer. Le rapport entre collectivitĂ© et individu nâest pas dichotomique. Câest une relation qui doit entendre le besoin de lâun et de lâautre. Et tandis que jâai commencĂ© Ă effectuer des remplacements en institutions sociales et mĂ©dico-sociales que guidaient justement la promotion de la participation, lâĂ©galitĂ© et lâindividualitĂ©, jâai su que voulais ĂȘtre acteur de cela.
Quelles formations avez-vous suivies ?
AprĂšs un cursus littĂ©raire, jâai suivi la formation au diplĂŽme dâĂ©tat de moniteur-Ă©ducateur. Jâai tentĂ© la fac de psycho, et me suis formĂ© Ă la communication non violente (CNV).
Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
Un jour, Ă la fin dâune visite, un jeune m’a dit : « Je t’expliquerai quand tu seras grand ». J’aurais pu choisir d’y voir de l’arrogance, laisser mon ego chatouillĂ© se dĂ©ployer en appelant au recadrage. Ă la place, j’ai souri et je suis parti. Car sa rĂ©ponse Ă©tait la promesse silencieuse d’une vraie rencontre sur le chemin d’une relation Ă fouler Ă deux. DerriĂšre son « quand tu seras grand », jâai vu le dĂ©sir que je lui accorde mon humilitĂ© avant sa confiance. Jâai trouvĂ© ça incroyable. Car je suis convaincu que la question de lâego du travailleur social doit ĂȘtre au cĆur de nos remises en question. Aucun dâentre nous nâest un superhĂ©ros. Nous sommes tous des ĂȘtres perfectibles au bord de la vulnĂ©rabilitĂ©, et ce jeune mâa renvoyĂ© cela. Je me suis promis que j’attendrai dâĂȘtre « grand » pour le rencontrer, bien que ce jeune ignore que je ne le serai jamais vraiment.
Le pire ?
CâĂ©tait lors dâune rĂ©union de restructuration institutionnelle, durant laquelle notre direction nous a annoncĂ© quâelle allait revoir les effectifs Ă la baisse sur nos unitĂ©s de vie. Face Ă nos contre-arguments, sa rĂ©ponse a Ă©tĂ© : « Vos rĂ©sidents sont adaptables ». JâĂ©tais hors de moi. Une multiprise est adaptable. Mais pas une personne. Et si tant est quâelle le soit malgrĂ© tout, câest parce quâelle nâa pas dâautre choix que de sây rĂ©soudre au regard des besoins qui dĂ©coulent de ses problĂ©matiques et des limites qui se heurtent Ă son pouvoir dâagir. Ce sentiment de malhonnĂȘtetĂ© intellectuelle a Ă©tĂ© lâun des pires moments de ma carriĂšre, conjuguĂ© Ă celui oĂč jâai pris conscience que je ne disposais plus des ressources psychiques nĂ©cessaires pour poursuivre ma carriĂšre sans y laisser ma santĂ©.
Quel est votre livre de chevet ?
Le travail social est un acte de résistance,
de Joseph et Fanny Rouzel (Ăd. Dunod, 2009).
(1) Auteur de Chroniques dâun Ă©ducateur devenu usager, de lâautre cĂŽtĂ© du mur (Ăd. LâHarmattan, 2018).
Lire la critique de Jacques Trémintin
Retrouvez les précédents autoportraits
🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Ăducateurs et dâun lieu de vie et dâaccueil
🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative
🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes
🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain
🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur
🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)
🖋 Sadek Deghima, chef de service dâun club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e
🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice
🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents
🖋 Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social
🖋 Laure, assistante de service social en service spĂ©cialisĂ© « Familles »
🖋 Carlos Lopez, Ă©ducateur Ă la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis 1999
🖋 Charline Olivier, intervenante sociale en gendarmerie
🖋 Sylvie Kowalczuk assistante de service social en polyvalence, formatrice occasionnelle, auteur
🖋 FrĂ©dĂ©ric Maignan, formateur indĂ©pendant en travail social
🖋 Ămilie Mocellin, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e indĂ©pendante
🖋 Ingrid Romane, Ă©ducatrice en maison dâenfants Ă caractĂšre social dans le var
🖋 Xavier Bouchereau, chef de service en protection de lâenfance et consultant indĂ©pendant
🖋 StĂ©phanie Liatard, travailleuse sociale au QuĂ©bec, Canada
🖋 Audrenne Henke, directrice dâĂ©tablissement.
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