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► LE BILLET de La Plume Noire • La loi du regard
François Durand, éducateur spécialisé de son état, monte dans sa voiture et pousse à fond le volume de la musique. Voilà, le placement est acté. Il vient de déposer le gamin. La MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social) va maintenant prendre le relais. François Durand ne peut s’empêcher de se demander s’il a bien fait de solliciter le placement auprès du juge. Certes, ils en ont parlé en équipe et le juge à entériner la proposition, mais il n’en demeure pas moins qu’il est à l’origine de cette demande, puisque c’est lui qui se rendait à domicile. Certes, une collègue l’accompagnait parfois, mais en tant que référent c’est lui qui rapportait les éléments permettant l’évaluation de la situation. François Durand ne peut s’empêcher de se poser cette question éthique, s’il en est : au nom de quoi un placement ? Sa collègue socialisatrice et assistante de service social, Marjorie Bourbonnille, a la réponse :
« Mais enfin François. Tu le sais. Le placement se fait au nom de la protection de l’enfance. Au nom de la loi ! Article 375 du code civil relatif à la protection de l’enfance. Si les conditions d’éducation d’un mineur sont compromises etcétéra, alors des solutions de protection doivent être apportées. Tout d’abord, éventuellement, l’AEMO (Assistance Educative en Milieu Ouvert) et après, si nécessaire, placement. »
« Oui, c’est vrai. Tu as raison. C’est tout simple en fait. Si un mineur est en danger au domicile alors il est retiré de ce milieu. Le placement est effectué au nom de la loi. La loi fixe le cadre. »
« C’est ça. »
« Mais attends. Si la loi fixe le cadre, comment se fait-il que l’année dernière tu as sollicité auprès du juge dix placements et moi, pas un seul ? »
« Mais enfin François. Tout simplement parce que les situations sont différentes. »
« Oui, c’est vrai. Tu as raison. Les situations sont différentes. »
« C’est ça. »
« Mais attends. Tu es en train de me dire que cela fait cinq ans que l’on bosse dans la même boîte, sur le même secteur, avec le même juge, auprès du même public et qu’il n’y a que toi qui rencontre des familles dans lesquelles le placement s’impose. »
« Bon, écoute François. Moi je fais mon boulot. J’applique la loi ».
– « Oui pardon. Tu appliques la loi. C’est vrai. Mais attends. Si ton boulot c’est d’appliquer la loi, tu n’as pas besoin d’être travailleuse sociale pour ça. Gendarme ça suffit. »
– « Bon, écoute François. Je te dis que si j’ai fait plus de placements que toi c’est parce que les situations étaient différentes. Tu comprends ça !? »
« Oui, tu as peut-être raison. Mais attends. Que les familles soient différentes, c’est une chose mais ne crois-tu pas que c’est aussi le regard que l’on porte sur ces familles qui est différent ? Et dans ce cas-là, existe-t-il une loi pour le regard que nous portons sur ce que doit être ou pas une famille ? Hein, dis-moi. Existe-t-il une loi sur le regard ? »
Pour aller plus loin, voir les archives sur ces thèmes :
Archives - Action sociale/Thème : protection de l’enfance
Archives - Action éducative /Thème : MECS