N° 1269 | Le 13 mars 2020 | par Marilou Meignat, éducatrice spécialisée en centre d’hébergement d’urgence | Espace du lecteur (accès libre)
14août 2019. 8 h 00 du matin. Le doux soleil d’été se lève et Paris se réveille doucement.
Je prends le métro comme tous les matins. Le métro parisien, un beau mélange de couleurs et de cultures réunies dans un même wagon au fil des stations.
Aujourd’hui, j’accompagne une dame et son fils de 3 ans pour chercher le récépissé de protection subsidiaire, dans une antenne de la préfecture. Les traits encore un peu tirés par le sommeil, mon humeur change face au sourire du gamin que je retrouve. L’insouciance se lit sur son visage, contrairement à celui fatigué de sa mère, marqué par les épreuves traversées pour arriver jusqu’ici. Mais on y est, elle va enfin obtenir le récépissé tant attendu, depuis des mois.
Nous arrivons devant la préfecture. La queue pour accéder au bâtiment est immense. Certains ont passé la nuit ici, pour être sûrs de pouvoir rentrer. Le long du trottoir, est garé un car de CRS, matraques à la ceinture. Quand cette maman m’interroge sur la présence quotidienne de la police dont elle ne comprend pas le besoin, je reste démunie, partageant son incompréhension.
9 h 00 : les grilles s’ouvrent. La fonctionnaire qui indique dans quel rang doit se présenter chaque personne, porte un gilet pare-balles. Elle crie, malgré le lourd silence qui pèse dans la file. Quand elle trouve que cela ne va pas assez vite, elle redouble d’efforts pour se faire entendre, tel un colonel qui dirige ses troupes. Une heure s’écoule, nous arrivons enfin dans la deuxième file avant de pénétrer à l’intérieur. J’observe les gens qui sont autour de moi. Certains paraissent épuisés, à bout de forces. Je m’imagine alors le parcours de chacun pour en arriver là : les raisons qui leur ont fait quitter leur pays, les pays en guerre, les personnes laissées derrière, les passeurs, la traversée, les réseaux de prostitution… tous les multiples obstacles pour arriver jusqu’ici dans l’espoir d’une vie meilleure. Je suis tirée de mes pensées par les hurlements de la femme au gilet pare-balles qui vocifère de resserrer les rangs.
Une heure de plus et nous entrons dans le SAS de sécurité. Ici, un gardien de la « paix » nous accueille. Et je me permets de mettre la paix entre guillemets. Car, il nous aboie dessus. Nous devons enlever nos ceintures, nos vestes et présenter nos sacs. Tout le monde se hâte, sous son regard menaçant. Nous sentons que si nous ne sommes pas assez rapides, nous risquerions d’être rejetés à l’extérieur. Quand vient notre tour, le gardien regarde le petit que j’accompagne et lui balance : « Tu peux y aller, Kirikou », suivi d’un rire bien gras. Mon cœur et ma main se serrent sur ma ceinture. Personne ne bronche. Pas même moi, la langue paralysée devant tant de connerie humaine ou par peur de porter préjudice à la famille que j’accompagne. Leur statut ne leur permet pas d’avoir le pouvoir de broncher.
À l’intérieur, nous avons encore une heure de queue avant d’arriver au pré-accueil et nous pourrons enfin attendre d’être pris en charge par l’un des trois guichets ouverts sur six. À condition d’avoir tous les documents nécessaires pour les atteindre. C’est le pré-accueil qui en décide, et ceux qui ne comprendront pas quels documents manquent, devront revenir le lendemain et refaire ce parcours interminable pour arriver jusqu’ici. Sans explication, sans traducteur. La salle d’attente que nous rejoignons ensuite est bondée mais silencieuse, car le gardien fait des rondes pour faire taire les indisciplinés. Certains s’endorment dans la fatigue de l’attente.
Nous ressortons à 16 h 00, récépissé en main. La maman que j’accompagne décroche un sourire, par soulagement et espoir de « ne plus jamais avoir à revenir ici ». J’ose espérer, au travers de l’optimisme que peut nous apporter notre métier, qu’il est possible que certaines personnes aient encore un peu d’humanité en elles pour agir avec bienveillance et humilité envers les gens plutôt que de les traiter comme des animaux ou de vulgaires numéros de dossier. Mais après cette journée, épuisée, je ne peux m’empêcher de penser : « la France… une terre d’accueil ? »