N° 803 | Le 29 juin 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La perspective dans laquelle nous entraîne l’auteur est roborative. Le processus d’éducation spécialisée induit des risques de concurrence face aux familles. Partager l’éducation d’un enfant dont le développement s’avère problématique est source de conflictualité. Face au mal-être et à la souffrance dont il est témoin, le professionnel éprouve des sentiments de compassion. Confronté aux régressions, aux blocages et aux refus, il sera tenté de se retourner vers les parents qu’il rendra responsables, évoquant tantôt leur surprotection, tantôt leur rejet, tantôt la pathologie familiale, tantôt les troubles personnels qu’ils projettent sur leur enfant.
Dès lors, il devient difficile de distinguer ce qui relève chez le professionnel de conduites propices au développement et à l’équilibre de l’enfant et ce qui correspond à des attitudes substitutives et à des confusions de rôle, génératrices de conflits de loyauté chez l’enfant et de déprise éducative chez les parents. C’est pourquoi l’auteur le rappelle haut et fort : il revient naturellement aux parents d’avoir à éduquer leur enfant, les institutions qui les entourent ayant, quant à elles, vocation pour les épauler, non pour les remplacer.
Le travail des professionnels ne peut se construire qu’à partir de ce qu’ont déjà entrepris les familles. Tout objectif conçu pour un enfant doit entraîner l’accord préalable de ses parents. Et notamment, le fameux projet individuel qui reste le projet d’une équipe pour un enfant et non le projet de l’enfant. Le travail avec les parents passe par l’analyse critique des informations rassemblées à leur sujet et la déconstruction des grilles d’interprétation de leurs conduites. Car « l’imaginaire institutionnel sur les parents irrigue l’interprétation explicative des difficultés rencontrées avec l’une ou l’autre familles » (p.43).
Bertrand Dubreuil est trop fin observateur pour se laisser enfermer dans une vision globalisante. D’emblée, il a prévenu qu’il s’agissait de considérer la complexité des situations rencontrées, en les analysant à partir des éléments qu’elles fournissent et non selon un modèle généralisant. Aussi reconnaît-il que la nécessaire relation de coéducation qu’il revendique s’avère impossible tant que les parents dénient leur responsabilité et rejettent la faute sur leur enfant. Être parent n’est pas un donné naturel mais un construit culturel, le lien biologique entre un géniteur et son enfant n’étant pas en soi constitutif d’un attachement. Certains parents, du fait de leur fragilité, sont dans l’incapacité d’exercer leur parentalité dans des conditions garantissant l’équilibre et la sécurité de leur enfant. Mais de telles circonstances ne doivent pas constituer un prétexte qui permettrait de remettre en cause un principe essentiel : ce ne sont pas aux parents de s’impliquer dans le projet de l’enfant, mais aux professionnels de s’associer au projet des parents.
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