N° 1352 | Le 2 janvier 2024 | Critiques de livres (accès libre)
Un étrange petit ouvrage de réflexion sur les addictions. Il aurait pu être écrit par un hippie des années 70 entre Katmandou et San Francisco mais pas du tout, l’auteur est tout ce qu’il y a de plus sérieux et recommandable.
Du spirituel dans le pétard !
Le lien entre les drogues et la spiritualité ne date pas d’hier. Nous savons que de nombreux chamanes et sorciers utilisaient et utilisent encore des produits stupéfiants pour aider à la communication avec les esprits, avec les Dieux, avec un éventuel au-delà.
Un regard neuf
Si dans la période moderne, les addictions ont été considérées comme des formes de tare sociale, de déchéance humaine, de faiblesse… les neurosciences ont apporté un nouveau paramètre dans le débat : les gènes de la vulnérabilité individuelle. Nous ne sommes pas tous égaux face au risque addictif et le soin doit prendre en compte ce facteur essentiel. En 2001, l’organisation mondiale de la santé (OMS) classe d’ailleurs les troubles liés à la dépendance à côté de la schizophrénie comme maladie mentale. Les causes de ces fragilités sont sans doute à la fois héréditaires mais aussi à chercher dans l’épigénétique, c’est-à-dire ces transformations de nos caractères génétiques du fait de nos expériences. Les troubles anxieux, du sommeil, les comorbidités psychiatriques, les troubles bipolaires, sont-ils primaires aux addictions ou en dépendent-ils ?
Freud contre Jung
Si l’addiction est à considérer comme une vulnérabilité individuelle psychique due à sa génétique innée ou acquise, les soins en usage en Psychiatrie trouvent une efficience certaine. Si Freud, tout empreint du positivisme du 19ème siècle réfute le spirituel dans la cure, Jung invoque un spiritus contra spiritum qui pourrait se traduire par l’Esprit qui guérit l’esprit, où la cure analytique est compatible avec « Dieu » dans la mesure où notre esprit est aussi fait de surnaturel et de spiritualité. Si aux USA, où la population est très largement plus religieuse qu’en Europe (et singulièrement en France), la question de la métaphysique n’est ni totem ni tabou, il en va autrement chez nous où les deux concepts médecine /spiritualité ne font pas bon ménage et dès lors, les recherches et les avancées sur le sujet sont essentiellement américaines.
L’opium du peuple
Grâce à l’imagerie mentale, on a assez facilement démontré que la croyance en Dieu, l’activité cultuelle, l’activité artistique ou l’usage de produits psychoactifs agissaient sur des mêmes zones cérébrales ou plutôt les mêmes circuits neuronaux. Naîtra même outre-Atlantique une science nommée « neurothéologie » qui tend à démontrer que « Dieu » est une fabrication de l’esprit humain en réponse à des questions fondamentales entraînant des stress spécifiques. Précisément, la drogue constitue aussi une forme de réponse chimique à ces mêmes stress. Dès lors, des neuropsychiatres se posent la question de soin à travers des démarches de spiritualité. Religion, méditation, prière certes, mais aussi l’utilisation de l’art dans toutes ces formes dans ce qu’il a précisément de « spiritualité ». En France, nous n’en sommes pas là mais rien ne nous empêche de réfléchir !
Étienne Liebig
L’auteur
Jacques Besson est addictologue, professeur honoraire à la Faculté de biologie et de médecine de l’université de Lausanne en Suisse et ancien chef du Service de psychiatrie communautaire du centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
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