N° 1192 | Le 29 septembre 2016 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Qu’il est parfois difficile de comprendre les comportements énigmatiques de ces enfants et jeunes dits incasables, qui ont désespéré famille et professionnels car trop explosifs et intolérants à la moindre contrariété. Qu’il est réjouissant de lire les propos d’une grande finesse, tout en nuances, d’Anaïs Pourtau et Marie-Cécile Marty. Elles décrivent la détresse et l’excès tout en respectant la complexité de ces adolescents de l’extrême.
Désaffiliés de leurs racines, mais parfois en quête de leur origine ; déserteurs des lieux proposés, mais toujours en recherche d’un accueil humain , ils constituent des paradoxes permanents. Hors des murs de l’institution, ils semblent parfois totalement sous l’emprise de la destruction. Les quelques béquilles existantes ont rompu, sous le poids du réel. Ils parcourent la cité lors de longues échappées, ce qui fait dire à leurs éducateurs qu’ils prennent leur foyer pour un hôtel. Et quand ils se posent, c’est pour se livrer au déchaînement pulsionnel, le moindre incident provoquant l’éruption volcanique.
Chacun des empêchements du quotidien est comme un refus à leur être entier. Ils mettent tout en œuvre pour ne se laisser submerger par rien de ce qu’il leur semble insupportable : la moindre frustration les fait exploser. Leurs bouches avides débordent en rire, grossièretés et cris, réclamant friandises, cigarettes, alcool et autres absorptions express. Ils souffrent de blessures éprouvantes : caries aux dents abîmées, fractures mal cicatrisées, maux de dos, maladies de peau, parasites ou virus insistants. Leurs nuits sont parcourues d’insomnies et d’angoisses incommensurables : peur de dormir seul, peur de l’insondable noir grouillant de réminiscences infantiles archaïques. Les conduites à risque sont une manière pour eux d’éprouver leur corps.
Les limites ne sont pas symboliques et les interdits fondamentaux ne dessinent pas pour eux des frontières. De la rencontre avec des adultes ressources naîtra peut-être la possibilité de renoncer à la stratégie qui les protège du désespoir.
Mais attendre une demande d’aide de leur part conduit à l’échec. Accueillir leur souffrance, réfréner leur jouissance, offrir une présence accueillante et résistante ni lâche, ni trop étouffante, c’est tout l’enjeu d’une présence réelle qui se risque. Toute relation créée avec chacun est forcément unique, mouvante et vivante. Il s’agit de cheminer avec l’autre comme il est, à partir de ce que nous comprenons de sa réalité et de ce que nous sommes.
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