N° 1301 | Le 21 septembre 2021 | Par Caroline Jonis, assistante sociale | Espace du lecteur (accès libre)
Monsieur Liebig, votre chronique sur les groupes non mixtes dans Lien Social n° 1293 m’a particulièrement interpellée. En effet, si j’ai bien saisi votre propos, les personnes qui questionnent cette vision des choses seraient des « nationalistes, politiquement corrects et de bons républicains dignes de CNews » N’est-ce pas un peu réducteur et caricatural ? Un brin de provocation sans doute… ?
Je n’ai pas davantage de réponse toute faite à cette question de mixité des groupes, mais elle m’a toujours taraudée. Assistante sociale, j’ai travaillé auprès de femmes victimes de violences conjugales tout au long de ma carrière, mais plus particulièrement lors d’une expérience dans un centre d’hébergement qui leur était dévolu. Cette association se refusait à embaucher des travailleurs sociaux de sexe masculin, afin que ces femmes ne soient pas mises en difficulté en se retrouvant face à ceux qui auraient alors été assimilés aux responsables de leur trauma. Si j’ai toujours compris ce qui motivait cette décision, une question ne m’a jamais quittée : la présence d’un homme, empathique, professionnel et clair dans ses positions et fondements, ne pourrait-elle qu’être nocive ? Cet homme ne pourrait-il contribuer à suggérer que la violence n’est pas inhérente à la masculinité et que le genre masculin peut signifier aussi douceur et protection, et qu’autre chose est donc possible ? Si cela est inenvisageable, on pourrait alors tout aussi bien envisager la suppression des éducs masculins dans les MECS et autres structures où se trouvent tant de petites filles victimes des violences de leurs pères et frères… !
Les groupes non mixtes ont en effet toujours existé, ils ont leur intérêt dans ce qu’ils permettent d’expression libre et sans crainte de l’autre. Pour autant, je me questionne sur ce qui motive cette nécessité de l’entre-soi. Je crois que c’est dans les origines de cette motivation que se loge son caractère acceptable ou non acceptable. Interroger cette nuance c’est ainsi pouvoir interroger ma légitimité à participer à ces groupes. De la même façon, je souhaite pouvoir interroger la légitimité de qui que ce soit animé de bienveillance à pouvoir être à mes côtés lorsque j’exprime ma souffrance sur mes propres traumas. Interroger, ce n’est pas imposer me semble-t-il, mais questionner, débattre sur le caractère intangible de ce qui nous pose question. Je ne crois pas que, comme vous semblez le suggérer, cela fasse de moi une « nationaliste » J’interroge donc la motivation du groupe non mixte qui serait guidée par l’exclusion de l’autre parce que différent et incapable de me comprendre. Et je veux pouvoir m’interroger aussi sur l’éventualité que cet autre puisse me proposer son soutien, ou même ne serait-ce que son écoute, ou même encore qu’il s’enrichisse dans ce que je partage de moi et qu’il soit à son tour porte-parole de ma cause, de mon expérience, du groupe auquel j’appartiens.
L’entre-soi sécurisant et protecteur est une chose. Mais ne mettons pas sur le même plan les groupes non mixtes qui refuseraient la présence de l’autre parce que d’une autre communauté, parce que désigné comme oppresseur tout simplement parce qu’il a la même couleur de peau ou le même sexe que l’agresseur. Elle est là la nuance, et elle est selon moi fondamentale. C’est de cela que nous devons débattre ensemble pour éviter le repli sur soi et cette radicalité qui rejette la pensée même d’une analyse différente. Il me semble essentiel de tenter de comprendre, de ne pas caricaturer ce que l’on dénonce sinon on perd le sens de ce que l’on veut défendre et ce qui nous anime profondément n’est pas entendu. On s’indigne de part et d’autre, on déclame, on caricature, mais à la fin la peur demeure et rien ne change, tout simplement.