N° 1301 | Le 21 septembre 2021 | Par Etienne Liebig, éducateur spécialisé, chroniqueur dans Lien Social | Espace du lecteur (accès libre)
Tout d’abord merci à Caroline de m’interpeller. En premier lieu, je voudrais dire que cette chronique réagissait à la levée de bouclier politique (et non professionnelle). Il se peut que ma place spécifique au sein d’un média populaire (RMC) au-delà de mon activité d’éducateur ait particulièrement orienté ma réponse qui du même coup peut être perçue comme partisane. J’aurais aimé avoir un débat tel que nous l’avons ici, sur l’utilité thérapeutique comparée aux risques communautaires que présente le choix de groupes de réflexions non mixtes. Mais ce débat nous a été confisqué par la récupération politique qui ne s’est pas posée la question de la validité éducative du procédé, mais uniquement le « racisme » supposé de groupes « racisé » qui s’exclue en excluant l’autre. Je partage intégralement les questionnements qui sont les vôtres et si, après tant d’années de pratiques, je connaissais la recette pour soigner les bleus à l’âme des victimes de violences diverses, je serais le plus heureux des hommes, des éducateurs, tout du moins.
J’ai eu une expérience un peu révélatrice dans un lycée professionnel où je suis intervenu, il y a quelques années pour des histoires de conflits entre élèves. Ce lycée regroupe des classes de cuisine/hôtellerie avec des jeunes issues du quartier et deux classes d’Art plastique d’élèves parisiens. J’ai bien sûr démarré le travail par des réunions générales où chacun avait la liberté de s’exprimer et à part des histoires de cantine, tout allait pour le mieux. J’ai alors pris la décision de faire des groupes non mixtes de type « petits parisiens » et « jeunes de quartier » ce qui, sur le plan purement idéologique me dérangeait assez. J’ai pu mesurer que des deux côtés, les ressentis s’exprimaient beaucoup plus librement. Les jeunes artistes reprochant aux cuisiniers de les empêcher de s’habiller comme ils le voulaient, se moquant de leur musique « de bobos », se montrant agressifs avec les jeunes gays et de l’autre côté, les « cuisiniers » constatant que les « parisiens » avaient le droit de fumer du shit sans que cela fasse un scandale, de sortir sans être contrôlés, d’entrer sans être fouillés etc, etc. Le travail a alors consisté banalement à rapprocher ces deux groupes à travers des travaux collectifs.
Ce travail m’avait été inspiré par une collègue du planning Familial qui intervenait également dans ce lycée et qui n’avait, elle, aucune interrogation, quant à faire des groupes de paroles non mixtes avec des jeunes filles pour parler de ce qu’elles subissaient comme humiliations de la part des garçons, mais aussi avec des garçons pour échanger sur le sexisme.
Je pense sincèrement que le fait de se sentir en sécurité avec des « pairs » ayant subi ou pouvant subir le même genre de « violences » libère la parole et permet l’éveil de la conscience. Mais je suis d’accord pour y voir aussi le danger que représente le sentiment d’appartenir à une « communauté victime » pour la personne elle-même et pour l’organisation sociale de notre pays qui précisément nie les appartenances communautaires à travers le choix de l’intégration républicaine individuelle.
Et je vous rassure, je ne jugerai jamais un professionnel qui s’interroge sur la meilleure stratégie d’intervention éducative, bien au contraire, notre métier n’est que questionnements des pratiques et adaptations au monde qui change. Mais ma rubrique répondait surtout à une forme d’accusation générale proférée par des gens qui n’ont jamais, ni de près ni de loin travaillé avec des personnes exclues ou en souffrance et qui se permettent de condamner, pour des raisons purement politiciennes, un mode d’action qu’il faut interroger à partir de données objectives et d’efficacité. Continuons pour notre part à débattre, cela reste notre seul outil contre la désinformation.