N° 891 | Le 3 juillet 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Comme un abus d’enfance

Véronique Campion-Vincent


éd. Le Seuil, 2008 (181 p. ; 15 €) | Commander ce livre

Thème : Abus sexuel

Une véritable panique morale s’est emparée de notre société occidentale : les relations sexuelles avec les enfants sont devenues un véritable tabou, dont la transgression entraîne une horreur sacrée. Les sanctions revendiquées contre leurs auteurs relèvent de traitements d’exception allant des mesures d’éloignement jusqu’à celles préconisant l’anéantissement. Le pédophile est devenue la figure du nouveau monstre. La croisade menée contre lui relève d’un projet de purification du monde par l’annihilation d’une catégorie humaine considérée comme l’incarnation du mal absolu.

Et la chasse ainsi ouverte a mené à des effets pervers catastrophiques : depuis le syndrome des faux souvenirs qui ravagea un temps les Etats Unis (tout mal-être étant considéré comme la conséquence d’agressions sexuelles dans la petite enfance, refoulées et oubliées, qu’il fallait faire remémorer aux patients) jusqu’à l’hystérie s’emparant de certaines communautés étatsuniennes imaginant des viols systématiques dans des crèches (s’avérant ensuite totalement fictifs), en passant par ces listes de criminels ayant purgé leur peine, mais néanmoins livrés en pâture à l’opinion publique aux Etats Unis comme en Grande Bretagne. Que s’est-il donc passé pour en arriver là ?

Première réponse possible, l’interdiction à l’enfant s’est affirmée alors que, parallèlement, les mœurs sexuelles ont été marquées par une permissivité grandissante. Le pédophile serait alors « le bouc émissaire idéal d’une société qui organise l’exacerbation du désir sans apporter les moyens de sa satisfaction » (Michel Houellebecq, cité p.51). Autre réponse possible, la recherche de l’origine d’un mal que l’on situerait à l’extérieur, évitant ainsi de se poser la question des pulsions malsaines qui habitent chacun d’entre nous. Après tout, les agressions sexuelles sont, dans 92 % des cas, d’origine intrafamiliale. Une hypothèse encore : les anxiétés autour des enfants ont toujours été une constante récurrente dans l’histoire. On les retrouve dans les légendes, les mythologies et les cultures. Elles sont aujourd’hui réactivées du fait de l’explosion des disparitions inquiétantes : de 2500 en 1963 à 44 140 en 2006. Avec pour effet, le passage brutal du déni à l’obsession, au point d’en arriver à étouffer ceux que l’on voudrait protéger sous l’angoisse exagérée et la surprotection excessive des adultes.

Aussi est-il temps de se donner les moyens de faire face à cette dérive, revendique l’auteure. Il n’est pas question ici de regretter un seul instant cette nouvelle sensibilité qui a permis d’entendre enfin la parole et la plainte de l’enfant quand celles-ci furent pendant longtemps ignorées, voire méprisées. Il faut néanmoins renoncer à la quête impossible d’une victoire totale sur le mal et inscrire l’action contre les souffrances des innocents dans une logique de compassion certes, mais aussi de raison.


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