N° 779 | Le 5 janvier 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Issu d’une thèse de sociologie, cet ouvrage échappe au ton convenu qu’adopte parfois cet exercice académique et réussit à passionner d’un bout à l’autre. Le secret de sa réussite tient peut-être dans la proximité qu’il maintient avec les personnages qui le peuplent et dans la rigueur et la pertinence des analyses qu’il propose. Réalisé à partir d’enquêtes de terrain tant auprès d’une Maison de la justice et du droit que d’un dispositif d’insertion par le Bafa piloté par la PJJ, il nous fait toucher au plus près des vécus particuliers, tout en leur donnant une dimension globale.
Quels que soient les acteurs concernés par la question de la délinquance des mineurs, la perception de leur place n’échappe jamais à la complexité qui les caractérise au quotidien. Les adolescents auteurs de ces déviances se comportent parfois ainsi pour répondre à l’échec auquel les amènent les valeurs scolaires. Ils leur opposent cette culture de la rue qui valorise la virilité, l’honneur et la dignité. Tous ne réagissent pas ainsi. L’ethos du groupe de pairs fonctionne surtout comme un refuge potentiel, quand les familles n’offrent pas la sécurisation recherchée ou que l’accès à la reconnaissance sociale est compromis.
Mais si ce capital s’avère positif pour trouver sa place dans la cité, il devient particulièrement stigmatisant en dehors. Les parents confrontés aux transgressions de leurs enfants réagissent différemment selon les ressources culturelles dont ils disposent. Ceux issus des couches moyennes perçoivent l’intervention judiciaire comme venant renforcer leur propre autorité. Les plus fragiles se sentent jugés en même temps que leur progéniture. Certaines familles immigrées sont particulièrement désemparées face à l’injonction contradictoire qui leur est faite de surveiller leurs fils, tout en renonçant à leurs méthodes d’éducation traditionnellement violente. Les agents de l’État (notamment dans les collèges), qui sont confrontés à ces publics parmi les plus difficiles, apparaissent eux aussi déstabilisés face au renoncement à la paire de claque, les institutions n’ayant su combler le vide ainsi laissé ni apporter la réponse cohérente attendue.
Si, toutefois, les ressources familiales et culturelles manquent, le capital social mobilisé par les éducateurs peut permettre la conversion aux normes dominantes et l’ouverture à des perspectives crédibles. Mais « le pouvoir performatif des mots dépend de la croyance dans l’autorité morale de celui qui les énonce » (p.234). Et cette crédibilité passe par la ténacité, la disponibilité, la capacité d’affrontement et l’investissement des professionnels.
À travers de nombreuses monographies et de multiples récits, l’ouvrage d’Isabelle Coutant ne se contente pas d’un état des lieux lucide et sans concession, il se projette aussi sur les possibles, en refusant de limiter l’avenir à la seule répression et en démontrant que l’insertion a toutes ses chances.
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