N° 779 | Le 5 janvier 2006 | Frédérique Arbouet | Critiques de livres (accès libre)
Paris, mars 2003. Joël Kerouanton assiste à une représentation de Ook, chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui, interprétée par une troupe d’adultes handicapés. Ce fut « un coup de cœur immédiat ». Ce spectacle questionne son « itinéraire « en même temps que sa « place de spectateur ». S’ensuivent des rencontres entre l’éducateur et le chorégraphe. Un dialogue continu s’instaure. Ces deux hommes, sensibles à la problématique du corps, vont vivre une expérience inédite. L’un découvre le monde de la danse, l’autre celui du handicap. Sidi Larbi Cherkaoui – Rencontres est le récit de cette expérience « heureuse ».
Dès le départ, le ton est donné. En éprouvant le besoin de communiquer ses émotions, son enthousiasme, de « mettre en mots, le plaisir à voir et à entendre le travail du chorégraphe et de ses partenaires » (p.10), Joël Kerouanton exprime sa subjectivité de spectateur. Son regard de néophyte sur la danse contemporaine, toujours éclairé par sa pratique professionnelle, est singulier. Humblement, mais toujours dans une urgence et un plaisir à dire, il interroge, à travers les spectacles de Sidi Larbi Cherkaoui, les codes théâtraux et aussi les codes sociaux.
Des mères bercent leur bébé, dans un geste collectif. Jouées par des comédiennes handicapées qui peut-être pour certaines veulent mais ne peuvent enfanter, l’éducateur écrit « Est-ce un rôle uniquement d’interprète ? La frontière entre la fiction du plateau et la réalité est-elle si nette ? » (p.30). Le chorégraphe répond « Elles doivent avoir la possibilité de rêver d’avoir un enfant. Pourquoi les amputer de cette possibilité ?… Elles ont le droit de vivre avec ce rêve, même s’il ne se réalise pas. Cela leur permet au moins de vivre… Bercer un enfant idéalisé reste possible, puisqu’il se situe sur scène. »
L’artiste et l’éducateur se nourrissent mutuellement de leur fonction respective. Sidi Larbi Cherkaoui utilise « la danse et les mouvements comme une autre façon de parler », Joël Kerouanton écrit pour travailler dans le social, autrement. Ensemble ils prennent du recul sur leur pratique. Chacun à leur manière a la confirmation qu’il est « possible de résister à la dictature du beau, et peut-être d’aller au-delà, de laisser se révéler un être intérieur » (p.33).
Cet ouvrage d’une simplicité maîtrisée, aux mots justes, navigue entre dialogue, récit et monologue. L’auteur commente, analyse et complète son point de vue par des apports d’auteurs : travailleurs sociaux, critiques d’art, artistes… Très pédagogue, il amène le lecteur à mieux comprendre cette relation entre art et handicap et le transforme aussi dans sa représentation du handicap.
Ce livre de rencontres entre un créateur et un éducateur, certes personnel par sa forme, est indispensable à tous ceux et celles qui questionnent ce lien : art et handicap. Loin d’être une chimère, il ouvre les portes à tous les possibles.
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