N° 1006 | Le 17 février 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La mutation de la pauvreté est marquée par cinq tendances : un rajeunissement, une féminisation, une urbanisation-concentration, une dépendance accrue aux prestations et une installation au cœur du salariat. Longtemps subordonnée aux résultats économiques, la lutte contre la misère est devenue un objectif à part entière, des voix ayant réussi à convaincre que le monde disposait du savoir-faire et des ressources pour la faire disparaître en une génération. Julien Damon nous décrit, dans ce livre passionnant, cette évolution intervenue concomitamment au niveau mondial, européen et français.
En septembre 2000, 147 chefs d’État et de gouvernement adoptent l’Objectif du millénaire pour le développement qui cherche à réduire de moitié, avant 2015, la proportion de la population mondiale vivant avec 1 $ par jour et/ou souffrant de la faim. La communauté internationale s’est dotée de toute une série de critères dont l’indicateur du développement humain qui intègre, au-delà du revenu par habitant, le niveau d’alphabétisation, la durée moyenne de vie, le taux de scolarisation, la mortalité maternelle, l’équité entre les sexes. Même si en 2005 la pauvreté absolue ne concerne plus que 1,374 milliard d’habitants (contre 1,9 en 1981), les déclarations, recommandations et exhortations ne valent ni un accord, ni un traité international qui aurait un caractère contraignant. La même situation prévaut au niveau européen.
Le Conseil de l’Europe de Lisbonne, en mars 2000, invita ses membres à donner un élan décisif à l’élimination de la pauvreté, d’ici à 2010. De fait, la politique communautaire fit de la cohésion sociale une condition de la performance économique, considérant même la protection sociale non plus comme une charge et une dépense, mais comme un investissement et un facteur favorisant la productivité. Une méthode ouverte de coordination fut même lancée, encourageant la mutualisation des bonnes pratiques en matière de lutte contre la pauvreté. Mais si dix-huit indicateurs d’exclusion sociale ont bien été élaborés, aucun objectif impératif n’a été fixé. Le système juridique européen est bien plus prompt à sanctionner tout manquement à la concurrence ou à la stabilité budgétaire qu’à contrôler l’efficacité de différentes politiques d’inclusion.
Là aussi, l’Union déclare et communique, mais ne légifère pas : le taux de 16 % d’Européens sous le seuil de pauvreté stagne donc. Quant à la France, elle s’est donnée pour obligation de rendre des comptes tous les ans sur la réduction de la pauvreté. Mais le critère qu’elle a choisi étant le « taux de pauvreté ancré dans le temps », l’indice baisse automatiquement avec la croissance, donnant le sentiment illusoire d’un progrès. Prise de conscience donc, mais restant surtout dans le déclaratif par manque de volontarisme.
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