N° 1006 | Le 17 février 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Pauvres en droits

Irene Khan


éd. Max Milo, 2010 (285 p. ; 18 €) | Commander ce livre

Thème : Pauvreté

Entre le milieu des années 1970 et l’an 2000, le taux de pauvreté de la population mondiale est passé de 74 % à 40 %. Dans la même période, la mortalité infantile a chuté de moitié et l’on a noté une évolution positive des indices de santé, d’éducation et de revenu par habitant. La Banque mondiale définit la grande pauvreté à partir d’un dollar de ressource par jour et la pauvreté à partir de deux. C’est encore un milliard de personnes qui sont concernées dans le premier cas et deux par le second. Pour faire reculer encore la pauvreté, on croit souvent qu’il faut plus de croissance économique, un commerce plus équitable, voire des investissements plus nombreux. La bonne santé de l’économie entraînerait l’enrichissement des populations, les plus défavorisés en profitant eux aussi. C’est contre cette doxa libérale que la Bengali Irene Khan, secrétaire générale d’Amnesty International entre 2001 et 2009, consacre son ouvrage.

Toute sa démonstration consiste à expliquer qu’un taux de croissance élevé ne suffit pas, si les bénéfices ainsi obtenus sont confisqués par les couches sociales supérieures ou les clans au pouvoir. Les plus pauvres sont les derniers à profiter de cette bonne santé du marché. Mais ils sont les premiers à souffrir des récessions qui frappent régulièrement le monde. L’auteur explique que la lutte contre la pauvreté passe aussi par la lutte pour les droits. Elle met en garde contre le piège dans lequel tombent ceux qui établissent des priorités, privilégiant l’accès à la représentation démocratique sur la lutte contre les privations, l’insécurité, l’exclusion et pour le droit de parole citoyenne qui est d’autant moins revendiqué, qu’il impliquerait une redistribution à l’échelle mondiale (20 % des plus riches ne disposent-ils pas de 70 % des ressources, pendant que les 40 % les plus pauvres se partagent 5 % d’entre elles).

Dès lors, la santé, l’éducation, le logement… ne seraient pas des droits à part entière, mais des besoins dont la satisfaction dépendrait du niveau de la croissance. Irene Khan est catégorique : on ne peut fragmenter les droits humains. C’est leur remise en cause globale qui contribue à pérenniser la pauvreté. Elle illustre son propos en utilisant de nombreux exemples dont elle a pu être témoin, en sillonnant le monde. Ainsi, de la mortalité maternelle qui n’est pas seulement une question médicale, mais aussi le fruit de préjugés, des discriminations et de l’inertie des États. Si le Sri Lanka a pu faire baisser en quarante ans son taux de 486 à 24 décès pour 100 000 naissances, c’est certes grâce aux moyens sanitaires déployés, mais aussi à l’éducation des filles. C’est en donnant la possibilité aux plus pauvres de se défendre, ce qu’elle appelle la démarginalisation par le droit, qu’on arrivera à mieux les aider à sortir de leur misère.


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