N° 875 | Le 6 mars 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Enfance dangereuse, enfance en danger ?
Sous la direction de Lucette Khaïat & Cécile Marchal
On retrouve dans les actes du colloque proposé en 2006 par l’association Louis Chatin, les tenants et aboutissants de la volée de bois vert reçue par l’expertise collective de l’Inserm intitulée « Trouble de conduite chez l’enfant et l’adolescent ». Cette étude s’est largement inspiré du DSM4 (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), manuel de référence publié et régulièrement actualisé par l’association psychiatrique américaine (APA).
Pour comprendre la logique de cette démarche, il faut se replonger dans le contexte des années 1970. L’APA est alors soucieuse de débarrasser la psychiatrie de ses mauvaises fréquentations psychologiques et anthropologiques et de la réinscrire dans une médecine à haute prétention scientifique : de mental, qu’il était, le trouble psychique devint somatique, l’ordre scientifique légitime (celui des sciences dures) tentant d’indexer à son profit l’ensemble des phénomènes humains. Un enfant qui casse, qui déchire, qui mord, qui donne des coups de pied, qui s’agite, qui vole, qui frappe a moins besoin d’être classifié que d’être écouté et accompagné. Ses attitudes inappropriées, perturbatrices et parfois dangereuses doivent surtout être soignées. De tels symptômes peuvent être le signe d’un trouble, comme dans le cas d’une maladie.
Mais bien d’autres correspondances sont possibles qui n’ont rien d’organiques. Telles, par exemple, l’expression d’une conduite qui a un sens (mettant en jeu l’environnement, le développement de l’enfant, l’organisation qui l’entoure…), mais aussi une variation face à la norme qui peut être transitoire ou non pathologique, une psychose ou une névrose infantile, une dépression, une pathologie limite… toutes choses totalement ignorées dans une simple énumération de signes cliniques qui ne s’intéresse qu’aux effets sans chercher des causalités multiples, imbriquant les dimensions sociologiques et économiques à celles purement biologiques ou héréditaires.
« La multiplicité des facteurs de risque, de développement et de maintien des troubles du comportement sont autant de niveaux possibles d’interventions préventives et thérapeutiques » (p.45). On ne saurait, pour autant, rejeter les outils qui servent à mieux décrire certains troubles ou à différencier les trajectoires évolutives. Même si les classifications sont par nature réductrices et limitatives, catégoriser permet de se repérer, de comparer et de s’adapter. Là où elles deviennent dangereuses, c’est lorsqu’elles induisent l’amalgame entre des approches médicales et sociojudiciaires qui mèneraient à une identification des troubles du comportement soit à la délinquance, soit à un écart avec la norme.
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