N° 979 | Le 1er juillet 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La poursuite de la folie à travers les âges, que nous propose Claude Quétel, remet en cause bien des idées reçues. La maladie mentale a existé à toutes les époques. Il n’y a pas de société sans fous. On en trouve la trace historique, dès l’Antiquité. Le souci récurrent de la soigner a toujours mobilisé tant la médecine que le magique. L’imaginaire humain sut faire appel à une diversité de méthodes, mettant en jeu aussi bien les médicaments que des thérapies par la parole ou d’autres médias. Toutes sortes de concoctions ou purgatifs, aux vertus calmantes ou au contraire toniques, furent utilisées : certaines plantes étant réputées pour soigner la mélancolie, d’autres le délire ou l’hystérie. Mais on sut avoir aussi recours à la diététique, au théâtre, à la musique, aux bienfaits supposés des bains en eau chaude ou froide, sans oublier les visites au temple.
Au Moyen-Âge, les médecins hésitent à s’aventurer sur le terrain des maladies de l’âme, chasse gardée d’une Église sourcilleuse de son terrain de prédilection. On préfère les pèlerinages. Chaque affection a son saint patron. Et l’on peut assister à ces cortèges d’insensés tantôt hébétés, tantôt agités et furieux, accompagnés, poussés ou entravés sur des civières, tentant d’obtenir l’intercession divine. Il faut croire que ce fut efficace car les fous guéris arrivaient au troisième rang des miraculés, derrière les paralysés et les aveugles. Et puis, il y eut le capharnaüm de toutes ces thérapeutiques plus folles encore que la folie elle-même. Pour réveiller les léthargiques, on a ainsi pensé tenir une truie hurlante, par les pieds, au-dessus de leur tête. Mais on a utilisé aussi l’alitement contraint dans un lit en panier d’osier (seule la tête pouvant sortir), la castration masculine et la clitoridectomie, le costume anti-masturbatoire, le balancement, l’excision d’une partie du cortex, et plus récemment, la camisole de force, la cure de sommeil, les électrochocs, la pyrétothérapie (provoquer la fièvre)…
Mais ce qui traverse les siècles, c’est aussi la nécessité de surveiller les fous, pour protéger leur entourage tout autant que pour les protéger contre eux-mêmes. C’est par précaution que les familles les enferment… jusqu’à ce que la société se charge de le faire : hôpitaux généraux, dépôts de mendicité, hospices se succèdent, qui les mélangent avec les mendiants et les vagabonds. La loi de 1838 impose à chaque département la construction d’un asile spécifique d’aliénés. On en construira 115 qui, longtemps, accueilleront plus de 100 000 patients, au plus fort de l’enfermement. La découverte des neuroleptiques et le mouvement de désaliénation leur permettront d’être soignés à l’extérieur, sans réussir pour beaucoup à guérir d’une maladie vraiment pas comme les autres.
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