N° 991 | Le 28 octobre 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La publication Homeless Story fait suite à celle de Conquête du désastre, en 2008. Dès la première page, on ne manque pas d’être surpris. Le propos est lapidaire, décalé, absurde. Le style est verbeux et semble relever d’une divagation logorrhéique. La syntaxe est oubliée, tout comme la ponctuation. La phrase peut s’allonger sur une demi-page. Le lecteur ne peut qu’être choqué, déstabilisé, irrité. Répétitions incantatoires, polémiques, ellipses, ruptures, se mêlent aux aphorismes et aux maximes dans un maelström relativement indigeste. Seuls certains passages sont conçus dans la continuité et rendent compte d’une manière un peu plus cohérente du parcours de l’auteur, seule exception fugace et un peu plus soutenue que le reste du texte. De quoi refermer l’ouvrage et n’en rien dire, dans cette rubrique. Il y aura bien quelques bobos snobinards et branchés pour se pâmer face à cette illustration d’une littérature actuelle « tellement originale », mais pour l’essentiel, cela risque d’aller au pilon, pense-t-on au premier abord. Et puis, on réfléchit.
FP Mény, SDF de son état, se disait « écrivain vagabond ». Il sillonnait les routes à bicyclette allant de village en ville, traversant les champs et les forêts. On a retrouvé son corps le 2 juin 2008 dans la grange d’un village de Corrèze où il s’était réfugié pour se protéger du mauvais temps. Il n’a laissé derrière lui que son vélo et ses textes, sorte de carnet de route déjanté. Ce dont il nous parle, c’est de son univers, de sa vie d’errance, de ses angoisses mentales. Son texte est en (in) cohérence avec (ou comme) son existence. Inutile d’y chercher une quelconque chronologie, une logique ou des repères familiers. Les critères littéraires classiques n’ont pas droit de cité, ici. C’est de l’écriture crue, sans détour, ni fioriture qui met à nu la dérive, la folie autant que la détresse et la révolte de son auteur. On est là sur un continent inconnu, ignoré par nous tous qui sommes si bien intégrés et rationnels : nous côtoyons, parfois professionnellement, le monde de la marge, des vagabonds et des déviances diverses et variées. Nous croyons le connaître, mais il nous échappe. Là, nous tenons l’occasion de le lire.
Reconnaissons-le : il faut un certain courage pour y entrer, comme il a fallu un certain courage pour le publier. Le lecteur est un peu comme ces découvreurs partant à l’aventure, sans savoir ce qu’ils rencontreront sur leur route. Débuter la première page pour aller linéairement à la dernière constitue une mission quasiment impossible. Mieux vaut picorer, en acceptant de se perdre et de se noyer, en résistant à l’envie de s’arrêter, en renonçant à comprendre… et réussir, enfin, à découvrir derrière cette écriture atypique un monde, un personnage, une vie. S’essayer, c’est risquer la déception ; mais c’est aussi peut-être trouver ce que l’on n’y cherche pas.
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