N° 991 | Le 28 octobre 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
On trouve dans cet ouvrage une somme passionnante de connaissances, synthétisant près de vingt ans de recherche sur la question des jeunes en errance. Le phénomène étudié n’est pas récent. Le mouvement Wandervögel (« oiseaux migrateurs ») qui prend son essor en Allemagne dans les années 1890, les déplacements de populations aux Etats-Unis sous l’effet de la terrible crise de 1929, en sont les précurseurs. Dans les années 1960, ce sera au tour des hippies et des routards. Quand la mode des travellers des années 1990 traverse la Manche, elle envahit très vite les festivals, provoquant deux réactions : sociale (équipes d’accueil composées d’animateurs et de travailleurs sociaux s’appuyant sur des chercheurs en sciences humaines et santé publique) et sécuritaire (répression policière, arrêtés anti-mendicité). Des groupes de jeunes adultes, vivant dans de vieux bus réparés, trouvent dans cette existence, faite de déplacements aléatoires et imprévisibles, un sentiment de liberté, réalisant ainsi un certain idéal adolescent.
De qui sont constitués ces publics ? L’auteur, tout en mettant en garde contre des classifications indicatives qui ne peuvent jamais être des outils directement opératoires, propose de distinguer entre ceux qui se cherchent (en quête de ce qu’ils veulent devenir), ceux qui se fuient (bien plus pour tenter d’échapper à ce qu’ils ont vécu jusque-là que pour élaborer une solution viable) et enfin ceux qui se perdent (trop de souffrance, trop de destruction physique et psychique pour réussir à se protéger et se ressaisir). Autre échelle d’évaluation permettant de mesurer la place de la personne dans son itinéraire : la vie qu’elle mène est soit choisie (recherche d’une voie alternative), soit assumée (adaptation aux contraintes), soit subie (soumission aux événements venant de l’extérieur). Tous ces critères montrent que, si des épisodes particulièrement douloureux de l’existence ont pu être des déclencheurs, on ne saurait pour autant résumer la problématique de l’errance aux seules difficultés psychiques.
Reste à savoir comment agir. François Chobeaux consacre à l’intervention éducative une longue partie de son ouvrage, rappelant en quoi les jeunes errants ne répondent pas aux critères traditionnels des usagers des services de droit commun. Pour approcher cette population le plus souvent écorchée vive et rejetante, mais pourtant compétente comme le montre son aptitude à la survie, il faut du temps. L’accompagnement ne peut se contenter d’attendre une hypothétique demande. Il faut réussir à se confronter au fonctionnement impulsif, souvent imprévisible et parfois violent d’un public imprégné de méfiance et de dynamique mortifère. Un défi à relever.
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