N° 1310 | Le 28 janvier 2022 | Critiques de livres (accès libre)
L’agir pluridisciplinaire
Alain Depaulis, Alain Molas, Jean Navarro (sous la direction)
Conjuguer les expertises
TROP souvent, les disciplines restent refermées sur elles-mêmes, chacune ignorant les fondements et les logiques des autres. L’interdisciplinarité propose une intercommunication inédite qui les traverse, indépendamment et au-delà de leur cadre respectif. Cette reliance ne se réduit pas à un simple et stérile empilement de savoirs disjoints, ni à un mélange confus d’expertises. Pas plus qu’elle n’implique leur dénaturation. Faire de la clinique à plusieurs implique de respecter chaque approche dans sa singularité. Cela commence par se détourner d’une simplification qui disjoint les connaissances opposées, au profit d’une complexité qui relie les parties et le tout, dans un va et vient constant. Cette démarche favorise les emprunts et les transferts dans une dynamique de reconnaissance mutuelle. Bien des obstacles s’accumulent sur cette voie : disparité des métiers et des missions, différences épistémologiques et méthodologiques, préjugés et manque de (re) connaissance réciproques, défauts de communication, absence de langage commun, contraintes économiques et financières, formatage et protocolisation des pratiques, impératifs gestionnaires, poids de l’histoire locale et des rivalités enkystées, hiérarchisation des valeurs et des tâches selon les professions, ancrage dans la culture institutionnelle et celle de son équipe… Et pourtant, cette utopie rationnelle est prometteuse. Pour y parvenir, il faut commencer par entrer dans une autoréflexion critique sur ses propres actes et relations à l’autre. Il faut ensuite légitimer le travail et les logiques d’autrui, identifier et contrer les préjugés qu’on porte sur lui. L’étape suivante conduit à raisonner en permanence autour de la quête et de l’élaboration d’un objectif commun. Cette approche s’articule autour de trois axes incontournables. Un renoncement essentiel, tout d’abord, à la prétention à détenir un savoir sur autrui, dans un rapport dominant/dominé. Y compris quand l’usager cesse d’être passif et est placé en position d’acteur, il devient un « usageant ». Ensuite, le passage du savoir-faire corporatiste au savoir-faire ensemble. Enfin, la régulation des passions humaines, source de dissensions. Car, s’il est bien une difficulté ontologique, c’est de nous abstraire de ce qui nous constitue et nous a permis de nous construire, pour nous effacer un temps et faire place à l’autre.
Jacques Trémintin
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