N° 828 | Le 15 février 2007 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)
À l’heure où la philosophie semble retrouver un regain d’intérêt et prendre place de nouveau dans la formation des futurs éducateurs, la lecture de Michel Onfray paraît comme incontournable. L’homme ne figure pas au panthéon des références universitaires ; au contraire même, par son inscription délibérée dans une posture matérialiste, il est l’un des rares penseurs des temps présents à pousser à son comble la rupture avec les canons du « philosophiquement correct ». Quiconque a connu Michel Onfray il y a vingt ans déjà dans les caves de la Villa Gillet à Lyon en compagnie de Pierre Cariou, déchiquetant le platonisme et mordant à pleines dents dans les Cyniques, a pu sentir alors combien il y avait du chien fou dans cet enragé de la vie.
Ce Manifeste hédoniste, sous-titre donné à La puissance d’exister, parachève une œuvre longtemps consacrée à cette philosophie de la jouissance qui ne veut pas pour autant dire luxure, et à cette philosophie de l’amour de la vie, laquelle se rit de tous les moralismes. Par sa vie, dont il narre l’enfance dans les cinquante premières pages de la préface à cet ouvrage, et par son travail d’intellectuel, Michel Onfray sait trop bien comment les plus belles lois cachent quelques-uns des pires arbitraires. Et à l’heure où les éducateurs ne jurent plus que par le « cadre » afin de nourrir leur pratique professionnelle, cheminer le temps de quelques 230 pages avec un auteur qui en appelle à repenser l’évidence des interdits et des règles ne peut que faire du bien.
Il n’y a rien de poli dans ce livre ! Ni le style, gargantuesque, ni les idées, gigantesques. « Je crois pourtant que seul un réel amour des enfants dispense d’en faire… » (p.136). Gare aux âmes dociles ! Elles seront inévitablement déboussolées. Car il n’est pas facile de suivre jusqu’au bout les chemins du cynisme ; mais c’est bien ce qui fait le prix de cet ouvrage. Par la radicalité de quelques-unes de ses positions Michel Onfray rappelle que nul n’est maître en philosophie et que par conséquent nul n’est à suivre aveuglément. À trente ouvrages publiés, le bonhomme est depuis trop longtemps installé dans le paysage de la dispute philosophique contemporaine pour suspecter son œuvre de quelque opportunisme.
Aussi, lorsqu’il en appelle à parachever l’œuvre de mai 68 en libérant la pensée libertaire par la constitution d’une « résistance rhizomique », est-ce bien une voie vers l’au-delà de la culture postmoderne qu’il ouvre. « L’intello voilà l’ennemi » (p.22). Ambiguë, car flattant en apparence le crétinisme ambiant, la sentence n’invite pas au renoncement du savoir ; au contraire, elle pousse à la quête d’une connaissance ancrée dans le « je » et dans la chair de l’existence. Pour tout éducateur, la leçon est bonne à prendre.
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Sous la direction de Jean Biarnès & Christine Delory-Monberger