N° 1301 | Le 21 septembre 2021 | Critiques de livres (accès libre)
Valoriser les déchus
Quel équilibre trouver entre fermeté et bienveillance face à des élèves dont les souffrances induisent parfois des troubles envahissants du comportement ? Ce questionnement, l’auteur ne se contente pas de le poser d’un point de vue conceptuel, même s’il reproche aux chantres des pédagogies actives de se contenter d’expliquer comment nourrir les enfants et pas comment leur donner faim. C’est un praticien qui s’exprime ici, décrivant ce qu’il a mis en œuvre avec ses élèves de SEGPA. Comme beaucoup d’enseignants, il a accepté ce poste, pour accumuler des points d’ancienneté bonifiés. Il sait qu’il ne façonnera pas de futurs ingénieurs, médecins ou avocats, mais des manutentionnaires, des agents de sécurité ou des personnels de nettoyage, tous ces salariés que la société méprise tant et dont elle a pourtant tant besoin. Son engagement auprès de ces enfants trop souvent stigmatisés, il ne le regrette pas un seul instant, ayant reçu en retour des leçons de vie, des souvenirs impérissables et le vrai sens de son métier. Contrairement à ce que l’on croit, ces élèves ne sont pas systématiquement violents. Certes, certains se montrent volontiers provocateurs, quand d’autres puisent dans l’amusement à outrance, l’indifférence ou le mutisme, la réponse à leurs problèmes. Cumulant tant d’échecs et récoltant tant de frustrations, ils ont développé un sentiment d’« impuissance apprise » chevillé au corps que l’on peut lire dans chacun de leurs gestes et leurs regards. Impossible d’en dresser un portrait type, sauf à ne pas y trouver un seul enfant issu des classes aisés. Il mènera avec eux un projet de correspondance avec une maison de retraite, fera venir une poétesse, organisera un voyage scolaire. Le plus dur, ce n’est pas tant de gérer les bavardages et les bagarres, les refus de travailler et les manques de respect, mais de réaliser au cours de l’année que ses élèves ne progressent pas et qu’on n’a aucune incidence sur leur apprentissage marqué par une confiance en soi malmenée et des potentiels martyrisés. Tant de misère sociale et affective ne peut être contrée par une simple bonne volonté individuelle, alors même que l’école républicaine se gargarise du mythe d’une méritocratie en renvoyant ces élèves à leur propre responsabilité dans leur revers scolaire. « J’aurais voulu leur dire à ces incasables, ces dangereux idiots, ces échecs sur patte, tout ce qu’ils m’ont apporté » (p. 265) Puissant !
Jacques Trémintin
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