N° 996 | Le 2 décembre 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Les Trente Glorieuses, qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont vu se développer un large secteur sanitaire et social placé sous le paradigme de la volonté de redistribution des richesses et de solidarité à l’égard des plus démunis. Les Trente piteuses qui ont suivi le choc pétrolier ont, quant à elles, été marquées par la déconstruction d’un État providence, cherchant à réduire son intervention à ses seules missions régaliennes de base. C’est toute cette évolution que nous décrit Pascal Le Rest, dans une rétrospective présentant ce qui est venu bousculer le socle de l’action sociale.
La première mutation relève de la conversion des esprits au modèle libéral : les problèmes sociaux seraient de la responsabilité individuelle de celles et de ceux qui en souffrent. Le parcours individuel devenant emblématique des difficultés que rencontre chacun, personne ne pourrait s’exonérer d’être à l’origine de ce qu’il vit.
La seconde transformation est celle de la globalisation. On nous répète à l’envi que la mondialisation serait inéluctable. Il faudrait s’y soumettre, en acceptant les réformes qui rognent tant les protections sociales que les régimes de retraite ou les prestations d’éducation et de santé. L’accord généralisé sur le commerce des services adopté par l’OMC, incitant à la privatisation de la culture, de la santé, de l’éducation et du social, il n’y aurait d’autres choix que de contrôler l’activité et de maîtriser les coûts. Les grandes réformes de 2002 et 2005 sur le handicap, de 2007 sur la protection de l’enfance, de 2009 sur le RSA en sont l’illustration : pour généreuses qu’elles soient, elles ne bénéficient d’aucuns moyens supplémentaires pour s’appliquer.
Le troisième brouillage est administratif : par son retrait progressif du champ des politiques sociales, l’État cède la place aux départements qui voient leurs charges exploser et leurs ressources diminuer. L’administration centrale qui était, jusque-là, garante d’une solidarité nationale s’appliquant uniformément en tout point du territoire, renonce aux pilotages d’une action sociale laissée à l’initiative et à la bonne volonté de l’échelon local. Autre profond retournement, l’hégémonie du discours répressif sur la démarche préventive, le gouvernement étant plus préoccupé de construire des prisons que de recruter des éducateurs ou des enseignants.
L’auteur, partant de cinq vignettes cliniques d’usagers représentatives des difficultés sociales contemporaines, en vient à s’interroger sur le glissement progressif du travail social vers la sphère caritative. Si les pratiques innovantes ne manquent pas, ce qui fait défaut, c’est la volonté politique de les promouvoir.
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