N° 996 | Le 2 décembre 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Protection de l’enfance. Paroles de professionnels en milieu ouvert
Bernard Eme & le Cnaemo
L’évaluation, exigence légale depuis la loi de 2002, présente le risque d’une instrumentalisation liée à l’aveuglement fonctionnel de commanditaires et de prescripteurs qui resteraient prisonniers d’une approche rationnelle immédiate. C’est bien cette crainte qui a incité le Cnaemo à s’associer à un sociologue pour lancer une recherche-action sur les fondements normatifs, éthiques et politiques des pratiques professionnelles susceptibles d’être évaluées.
Le premier constat qui est fait ici, ce sont les mutations intervenues depuis quelques années, qui viennent peser sur le quotidien des intervenants. C’est d’abord le changement des mentalités et des mœurs qui concernent tant les individus que les familles : aux communautés traditionnelles qui transmettaient leurs valeurs a succédé une individualisation qui s’appuie sur le renforcement des bulles intimes. Même si la toile de fond mériterait plus de nuances liées à la multiplication de ses formes, la famille n’est plus cette instance cohésive et centripète, mais un assemblage d’espaces privés induisant une préoccupation démocratique d’égalité. Conséquences : les normes de l’action sociale renvoient bien plus aux individus qu’au groupe familial.
C’est, ensuite, la précarisation des familles qui tend à les attacher à un présent immédiat peu sécurisant, confrontant les professionnels à une déstabilisation de leurs repères face à des groupes familiaux dans l’incapacité de se projeter dans le temps. C’est aussi l’évolution produite par la réforme de la protection de l’enfance de 2007 qui, en voulant donner plus de droits aux usagers, a aussi accru les tensions entre les intérêts de l’enfant et les intérêts des parents. Les juges suivis des intervenants seront-ils amenés à adopter, de plus en plus souvent, une posture de médiateur ? On peut, tout autant, évoquer le rôle grandissant des conseils généraux se traduisant par le glissement du judiciaire vers le politique. Avec la disparition de la triangulation qu’opéraient le droit ou la procédure contradictoire, le pouvoir administratif se trouve dans la toute-puissance, tant face aux familles privées de la possibilité de faire appel qu’aux associations d’AEMO placées dans la situation paradoxale d’être à la fois partenaires et prestataires de service soumises aux appels d’offres.
Enfin, à toutes ces mutations s’ajoute l’impossibilité de standardisation et d’uniformisation de pratiques qui évoluent en permanence dans une sphère d’incertitudes, dans l’expérience singulière du relationnel et dans un espace d’autonomie peu compatible avec les protocoles, avec les procédures et avec les modèles pragmatiques et utilitaristes. Les pratiques que l’on veut évaluer sont donc mouvantes et en construction permanente.
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