N° 1102 | Le 18 avril 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Ouvrage après ouvrage, la mythologie entourant la vie et l’action de Sigmund Freud s’effrite, laissant place à un personnage bien plus humain que ne le laissent paraître ses hagiographes, avec ses fragilités et ses obsessions. Le philosophe et historien Mikkel Borch-Jacobsen s’est intéressé aux patients du fondateur de la psychanalyse.
Trente et un portraits, des plus connus aux plus anonymes, décrivent des pratiques pour le moins étonnantes.
Il y eut d’abord ces erreurs de diagnostic fatales pour certains de ses patients : Mathilde Schleicher décédée à la suite d’un surdosage de Sulfonal pourtant prescrit par le bon docteur ou Ernst Fleishl Von Marxow qui perdra la vie après avoir surconsommé des doses d’héroïne, suivant en cela les conseils d’un Sigmund Freud convaincu de permettre ainsi son sevrage à la morphine.
Puis, il y eut les mensonges, notre génie présentant ses propres constructions comme des faits avérés ou modifiant les données pour les faire correspondre à ses hypothèses. L’exemple le plus flagrant est celui d’Anna O., Bertha Pappenheim de son vrai nom, première à expérimenter la cure qui deviendra la méthodologie princeps de la psychanalyse. Le maître prétendra, toute sa vie, que sa patiente avait retrouvé « un équilibre psychique total », alors même qu’en privé il reconnaîtra que le traitement avait été un fiasco.
Et puis, il y a ces obsessions à trouver des interprétations sexuelles à tout. Freud demande à son ami Wilhelm Fliess d’opérer Emma Eckstein de son nez, pour la guérir de la dépression prémenstruelle. Il ne croira jamais que l’hémorragie qui s’ensuivit puisse être liée à l’oubli dans la plaie d’un demi-mètre de gaze, mais plutôt à une hémophilie hystérique due à des agissements pervers dans sa famille. Quand Olga Hönig vient consulter Freud, celui-ci est en pleine élaboration de la théorie de la séduction par le père. Il lui révèle que ses idées obsessionnelles sont liées à un abus sexuel paternel. Son père est décédé peu de temps après sa naissance ? Qu’à cela ne tienne, ce sont sûrement ses deux frères qui ont abusé d’elle.
Les origines des difficultés d’Ida Bauer sont élémentaires. Son asthme ? Il est dû au mimétisme du halètement de son père coïtant avec sa mère. Sa toux ? Son désir de sentir le pénis de son père dans sa gorge. Le petit Hans est témoin à l’âge de quatre ans d’un accident spectaculaire d’un cheval tombant à la renverse, à grand bruit de sabot et de hennissements. Bien entendu, sa phobie des chevaux n’a rien à voir avec cet épisode traumatisant. Non, il dénote sa jalousie envers sa sœur, son hostilité à l’égard de son père et sa peur d’être castré pour être puni de ses ressentis.
« Un grand homme, notre Freud, mais plus pour les romanciers que pour les patients », nota l’un de ses patients sceptiques. Cruel.
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