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🎭 POLAR THÉÂTRAL • Faire reculer et condamner l’emprise
À l’ère post #MeToo, voici une pièce qui dénonce les stratégies de l’emprise et illustre de quelle manière une plainte, faute de preuves, aboutit à la relaxe d’un agresseur. Une bonne illustration de l’absurdité de notre fonctionnement judiciaire.
Lina, une jeune comédienne, arrive dans un commissariat pour porter plainte. Comment rassembler ses souvenirs épars, sans confusion ? Comment révéler l’intime au grand jour ? Au cours des auditions et des flash-backs, une vérité se dessine : dans notre culture du viol, pas de place pour la preuve de l’emprise.
Accompagnée par la musique de son guitariste, l’actrice Nejma Ben Amor interprète huit personnages, dans ce théâtre où l’absurde se conjugue avec le drame. La pièce nous plonge dans les mécanismes de domination.
Sidération
Habitée par la sidération, le combat et la dissociation, par des gestes de mains subtiles, Nefje Ben Amor nous présente surtout une comédienne, victime d’un metteur en scène qui la fait jouer dans une pièce abordant la notion de justice, avec sa troupe. La culpabilité, le déni et l’autodestruction ne lui permettent pas de résister face à la violence qui se nourrit d’elle-même, au fur et à mesure que se construit la relation. On voit comment le piège se resserre et combien le défi de rester et de vouloir garder son rôle et sa place empêche la victime de partir, même lorsqu’elle le souhaite.
Ambigüe et confuse, la victime revisite et explique au commissariat ce qui lui est arrivé. Mais, malgré la présentation des faits, comment les prouver ? Les défaillances du système sont cruelles et inacceptables, et c’est bien la raison de l’écriture de cette pièce. Le prédateur banalise et reconnait sa violence, sans pouvoir y résister. Il attise son amour et son désir de possession par des mots qui conditionnent son alter ego (« Lina, on va répéter à deux » ; « J’ai envie d’avoir un enfant avec toi, de faire la grande aventure avec toi » ; « Tu n’as pas été sélectionnée pour ton travail » ; « Lina, sans moi, tu ne serais pas là »). La victime sent arriver ses crises, sans pouvoir les empêcher ni s’en éloigner. L’engrenage coince les deux individus, autant dans leur histoire passionnelle que dans leur posture de témoignage. L’un joue contre l’autre, et la perversion du prédateur ne recule devant rien. Il continue à jouer de narcissisme, à séduire et à dominer. Tout est dit, consigné, devant les deux commissaires. Mais le mécanisme judiciaire donne raison au plus fort, au final. Et la justice se referme, faute de preuves, en envoyant par courrier sa lettre type de relaxe l’agresseur, à Lina, comme l’ont reçue aussi des chapelets de vraies victimes, dans la vraie vie.
Tout comme le musicien qui accompagne l’actrice, les spectateurs deviennent les témoins impuissants, assistent à ce spectacle affligeant. On se demande, en sortant quels efforts permettront de renverser les équilibres. L’emprise reste « du domaine de l’indicible » et « avouer une chose pareille remettrait en question tout l’ordre établi ». On attend tous de savoir… jusqu’à quand ?
Agnès Montagne
Photographies : © Vincent L’Hostis
L’emprise, texte de Nejma Ben Amor, mise en scène de Charles Texier assisté de Tara Ostiguy, avec Nejma Ben Amor et Majed Ben Amor. Première création théatrâle de la compgnie Octa. Durée : 1 h 30 - Jusqu’au 25 avril au théâtre des déchargeurs à Paris. En août au festival d’Aurillac. 15 octobre 2023 à Scène d’Anglars – Anglars-Juillac (46). Pour plus d’information : francesca@francescamagni.com
Teaser l'emprise.mp4 from Compagnie OCTA on Vimeo.
En parallèle à cette pièce, on ne saurait trop conseiller l’ouvrage de Florence Porcel « Honte » (Éd. JC Lattès, 2023). Dans ce témoignage contre Patrick Poivre d’Arvor, l’autrice revient sur les deux viols dont elle a été victime et explique comment, pour avoir demandé réparation, notre système lui a fait, en fait, tout perdre.
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