N° 1293 | Le 13 avril 2021 | Critiques de livres (accès libre)
Pratiques d’orientation clinique en travail social
Sébastien Ponnou et Christophe Niewiadomsky (sous la direction)
La technologisation sans masque
La pratique basée sur des données probantes, qui nous vient du monde anglosaxon, a pour ambition de passer en revue la littérature spécialisée pour identifier les thérapeutiques les plus ajustées à une pathologie donnée. La tentation d’appliquer cette méthode au travail social colle aux valeurs de performance et de réussite qui visent à sa rentabilisation et à la baisse de ses coûts. Une telle démarche est aux antipodes de la polysémie qui caractérise tant la diversité de ses publics que de ses acteurs, de ses institutions que des prismes théoriques et axiologiques qui le traversent. Le travail social fonde son évaluation sur des éléments complexes et variables qui s’appliquent dans l’entrelacement singulier du sujet et du social. Il se heurte à un possible qui ne se précise qu’au fil de l’action. La quantification des réussites d’une approche ne garantit nullement sa validité. Il promeut surtout l’élaboration de protocoles s’imposant au professionnel appelé à se transformer en contrôleur social exécutant des programmes standardisés et normalisés. Il devrait alors renoncer à l’imprévisibilité, au flou et à l’ambiguïté de l’interaction ; à ce regard, cette présence et cet intérêt pour la singularité des situations accompagnées ; à cette rencontre vraie et cet engagement faits d’observation, de compréhension et de confrontation des hypothèses qui ne sont jamais aussi fertiles que lorsqu’elles sont mises à l’épreuve dans leur confrontation au réel. Non, là il suffirait d’appliquer des méthodes statistiquement vérifiées pour être efficace. Affronter l’obscure densité de l’énigme que constitue l’autre par la présence, le lien et le partage ne serait plus nécessaire, le mystère de l’usager étant « scientifiquement » percé à jour. Pourtant, agir c’est hésiter en permanence, puis transiger entre des orientations hétérogènes ; arbitrer entre des logiques peu ou pas compatibles ; articuler des savoirs professionnels, expérientiels et académiques sans pouvoir les hiérarchiser. De tels compromis sont toujours provisoires. La culture de la preuve s’oppose à la mise en question permanente, au doute systématique, au questionnement ininterrompu des normes et des certitudes, seules valeurs permettant de voir ce qui ne se voit pas et d’entendre ce qui ne s’entend pas. Et c’est tout cela qui constitue les pratiques d’orientation clinique.
Jacques Trémintin
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