N° 1187 | Le 9 juin 2016 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Dans un livre à la fois érudit, impliqué et fécond, Denis Vaginay nous propose une riche conceptualisation et une éthique pleine d’humanisme pour penser la question de la sexualité et du handicap. Longtemps destinée à rester un éternel enfant, la personne déficiente a toujours produit la crainte et le fantasme d’un déchaînement pulsionnel, dès lors où on la laisserait vivre librement son affectivité.
Depuis que les frontières s’estompent progressivement entre l’état de validité et celui de handicap, la déficience apparaît de plus en plus comme une singularité et non comme une anormalité. Dès lors, seule la volonté de protection de la vulnérabilité vient justifier le traitement à part de la sexualité de cette population. Pour autant, cette légitime préoccupation ne doit pas donner prétexte à un abus de pouvoir des familles et des professionnels enfermant les personnes concernées dans un statut infra-humain. À l’image de cet IMPRO interdisant aux jeunes le fréquentant de s’asseoir dans l’herbe.
La raison ? Parce qu’après s’être assis, ils pourraient s’allonger, puis se toucher et enfin avoir un rapport sexuel ! Aucune étude n’a jamais démontré que la vie affective et sexuelle serait néfaste aux personnes fragilisées par un handicap. Et les valides sont infiniment plus rigoristes et conformistes avec ces populations qu’avec eux-mêmes, leur déniant ce qu’ils s’autorisent eux-mêmes, se focalisant sur des dysfonctionnements qui seraient banalisés chez tout autre être humain. L’auteur le proclame avec force : leur sexualité doit relever du droit commun, car elle est identique à la nôtre !
Tant qu’une personne handicapée ne contrevient pas aux droits d’une autre, elle peut valablement se comporter comme elle l’entend. Bien sûr, des attitudes inappropriés car irrespectueuses des codes sociaux peuvent se produire. Mais, loin d’être intrinsèques à la déficience, ces agissements sont acquis : ils sont le produit d’une éducation et d’un accompagnement incomplets, incohérents et inadaptés. Ils peuvent tout à fait être régulés, dès lors que ces publics sont préparés à la vie affective et sexuelle. Mais, pour qu’elle soit ajustée, encore faut-il que cette préparation ne se limite pas à « comment ça marche », mais aussi à « comment s’y prendre, quand on a compris comment ça marche ». L’inévitable et nécessaire connaissance technique doit être relayée par l’apprentissage de la subjectivité, de la sensualité et de la sensibilité. Et les plus qualifiées pour répondre à ces questions, ce sont les personnes à qui elles sont posées.
Denis Vaginay considèrent que les professionnels sont plus à même de le faire que les familles. Et de décrire longuement des situations concrètes tels que l’érection au moment d’une toilette, l’accès à la pornographie, la déclaration d’amour faite à un(e) salarié(e) ou encore le désir d’enfant.
Dans le même numéro
Critiques de livres