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Lucile Barbery, ancienne éducatrice spécialisée de l’aide sociale à l’enfance devenue photographe, est allée à la rencontre des premiers concernés par la protection de l’enfance : les enfants placés devenus adultes.

« Ils ont des choses à nous dire : Qu’est-ce qui les a tenus ? A quoi se sont-ils accrochés ? Quels ont été les obstacles rencontrés ? La violence n’est jamais bien loin, du petit acte d’apparence anodine aux faits les plus intolérables. Ils se sont majoritairement tus. Aujourd’hui, Leurs voix s’élèvent, se rejoignent. Tout en nuances et finesse. Aujourd’hui ils nous font don de leur savoir, de leur expérience, d’une part de leur vie », explique-t-elle.

Elle a rencontré une vingtaine de personnes*, les a photographiées dans un lieu de leur choix, « un lieu signifiant pour elles ». Elle a écouté leur récit de l’adulte qu’elles étaient devenues, leur regard sur la protection de l’enfance, leur témoignage a été écrit avec les personnes et elles lui ont confié une photo d’elles prise durant le placement. En attendant de pouvoir organiser une exposition, Lucile Barbery nous a confié six portraits avec leurs témoignages, retrouvez ceux de Gabrielle, Romain, Hélène, Noé et Elodie déjà en ligne, et découvrez celui de Samuel.

* Les prénoms ont été modifiés

SAMUEL

Samuel, 33 ans, bar PMU à Paris. (c) Lucile Barbery

" J’ai été placé à 6 ans avec mon petit frère. Je pense que ça a été une démarche de ma mère. Elle savait que c’était la meilleure solution pour nous. J’ai eu accès à mon dossier. C’est bizarre de voir que toute notre vie tient à des bouts de papiers. Mon assistante maternelle (la famille d’accueil NDLR) tenait un cahier. Elle me l’a montré à mes 21 ans. J’en ai pleuré. Je les appelais pépé, mémé. J’ai été élevé avec leurs petits enfants. J’ai jamais vu mon assistante maternelle comme une salariée mais comme quelqu’un qui m’apportait soin, affection, engueulades.

Ma mère a été déchue de ses droits. J’ai été pupille. Toute décision était prise par une commission, même pour un vélo…C’est pour ça que je n’ai jamais rien demandé. J’ai eu un éduc et quatre assistantes sociales. J’ai eu de très bons rapports. Mais quand il y a un changement, c’est un déchirement, parce qu’on s’attache.. J’ai eu un contrat jeune majeur jusqu’à mes 21 ans, après j’ai été un peu tout seul. C’est ça que je reproche à l’ASE. Ils disent « il est majeur et vacciné », mais il doit mettre des choses en place dans sa vie. Il a besoin de piliers, d’échanges.

A l’époque, ils m’ont inscrit au foot. C’est comme ça que je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul enfant placé. On a pu parler de nos soucis sans en avoir honte. J’ai souvent ressenti de la honte. J’avais toujours ce sentiment d’être enfermé sur moi-même. En vacances, en colo, je m’ouvrais totalement, je me sentais comme un enfant comme tous les autres. Pour moi les enfants placés sont différents, je me sens souvent plus proche d’eux. On n’a pas les mêmes parcours mais on a les mêmes difficultés. On a beaucoup le ressenti d’être mis à part alors que c’est pas forcément le cas.

Je me cherche toujours un petit peu. J’ai encore des difficultés à parler de mes problèmes. J’ai du mal à prendre des décisions, on en a tellement prises pour moi. J’ai peur de l’échec. Le fait de vouloir la perfection. J’ai beaucoup de mal à m’engager professionnellement, j’ai besoin qu’on me dise : « je vais t’accompagner pour ça au début ». Je suis quelqu’un de très sociable".

Samuel, deux ans, dans une pouponnière à Paris. (c) DR