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• Portrait : À la rencontre d’anciens enfants placés - Hélène

Lucile Barbery, ancienne éducatrice spécialisée de l’aide sociale à l’enfance devenue photographe, est allée à la rencontre des premiers concernés par la protection de l’enfance : les enfants placés devenus adultes.

« Ils ont des choses à nous dire : Qu’est-ce qui les a tenus ? A quoi se sont-ils accrochés ? Quels ont été les obstacles rencontrés ? La violence n’est jamais bien loin, du petit acte d’apparence anodine aux faits les plus intolérables. Ils se sont majoritairement tus. Aujourd’hui, Leurs voix s’élèvent, se rejoignent. Tout en nuances et finesse. Aujourd’hui ils nous font don de leur savoir, de leur expérience, d’une part de leur vie », explique-t-elle.

Elle a rencontré une vingtaine de personnes*, les a photographiées dans un lieu de leur choix, « un lieu signifiant pour elles ». Elle a écouté leur récit de l’adulte qu’elles étaient devenues, leur regard sur la protection de l’enfance, leur témoignage a été écrit avec les personnes et elles lui ont confié une photo d’elles prise durant le placement. En attendant de pouvoir organiser une exposition, Lucile Barbery nous a confié six portraits avec leurs témoignages, vous pouvez déjà retrouver les portraits de Gabrielle et Romain et découvrir aujourd’hui celui d’Hélène.

* Les prénoms ont été modifiés

HÉLÈNE

Hélène, 62 ans, à son domicile à Pommiers dans le Rhône. (c) Lucile Barbery

" Ma mère était enceinte de jumeaux, les 12 et 13èmes de la famille. Elle a demandé conseil à l’assistante sociale. J’ai été placée à 12 ans en famille d’accueil, ça devait être temporaire. Le temporaire a duré. On a été séparés, tous placés. Mes parents venaient nous voir 2 fois par an. La séparation a détruit notre famille. J’étais en colère. Mes frangins, mes sœurs auraient eu une autre vie. Nous étions chez des paysans avec ma sœur jumelle et mon petit frère. Ils nous prenaient pour l’argent, le pognon. Pendant 2 ans, pas de beurre, pas de fruit, leur fille, la petite princesse, bouffait des oranges sous notre nez. Ma sœur faisait pipi au lit, elle lui faisait rincer les draps à l’eau froide dehors l’hiver. On s’occupait des cochons, on sortait des brouettes de fumier… ça pèse lourd le fumier. L’assistance publique nous donnait un trousseau tous les ans, La famille d’accueil donnait la moitié à sa sœur. J’écrivais à ma mère que nous étions malheureux mais elle interceptait les lettres. Quand ils venaient la DASS, on pouvait pas se plaindre, elle était à côté. Mon petit frère de 8 mois a été placé dans une famille, ils lui mettaient du vin dans son biberon. L’assistance ne se renseignait même pas.

Une deuxième nourrice a demandé à nous récupérer. Nous étions cinq frères et sœurs chez elle. Elle a pas pu récupérer mon petit frère, la DASS a pas voulu, ils aimaient pas : « tous dans la même famille ». C’était un changement du jour au lendemain. Elle nous prenait pour le plaisir, elle était très affectueuse. Je les appelais mamie et papy. On allait à la piscine, les bermudas, les sandales à grosses marguerites…c’était la mode. On aurait du lui donner une médaille.

Mes parents au milieu du mois n’avaient plus rien à bouffer. Je les ai tellement vu se débattre avec l’argent, plein de crédits sur le dos. Je me suis dit « je ferai jamais de crédit ». Et tu peux venir à l’improviste, mon frigo sera toujours plein. Il faut toujours être forte et savoir se débrouiller et pas attendre des autres. La vie n’est pas facile, il faut être dure tout en étant souple. Ce qui m’importe c’est l’avenir de mon petit fils, de mes filles, qu’elles soient heureuses, qu’elles trouvent l’homme idéal ".

Hélène, 13 ans, en famille d’accueil. (c) DR