L’Actualité de Lien Social RSS
• TERRAIN - Journal de bord - L’accompagnement social à distance : retour d’expérience sur une période hors norme et réflexion sur le sens commun en situation de crise sanitaire (1)
Par Florence, Travailleuse sociale.
Le 17 mars 2020, le feu vert est lâché par ma direction pour le télétravail dans un service d’accompagnement dans et vers le logement pour des personnes en précarité sociale, économique ou psychique. S’adapter aux changements en restant au plus proche des besoins des territoires est un travail construit dans la rencontre avec l’autre. Malgré l’urgence imposée par le Covid-19, l’enjeu est de continuer à exercer des missions d’aide et de conseil. Entre intention et conviction, aperçu d’une réalité à plusieurs facettes et utilisation distincte de la distanciation. Après une première période de sidération générée par la prise de conscience de la contingence de l’être humain, une redéfinition des missions et une élaboration des possibles se sont imposées. Le climat anxiogène et le bouleversement de nos organisations sont rapidement mis entre parenthèses face à la stabilisation produite par les échanges avec les autres. Faire le lien et rester relier constituent les priorités de ce confinement. Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication deviennent plus précieuses que jamais pour avancer sur cette ligne de crête. L’intervention sociale s’exprime alors à travers des échanges téléphoniques, des mails et des réunions d’équipe en visioconférence. Finalement, faire communauté dans cet éclatement géographique est possible grâce aux progrès des technologies électroniques. L’adaptation à cette réalité sociale et l’élaboration de nouvelles formes d’influences deviennent la norme afin de mettre en œuvre le projet de relogement ou pour répondre à des besoins essentiels.
Pierre
Lorsque la Complémentaire Santé Solidaire n’est pas activée, que la banque n’a pas réalisé le virement et réglé la participation aux frais d’hébergement, que le scooter ne fonctionne plus ou encore que le rendez-vous avec l’assistante sociale est annulé, il ne s’agit pour Pierre que d’obstacles de plus à surmonter. Il est habitué et pour lui, la vie continue.
Après le confinement, Pierre retournera dans l’entreprise d’insertion où il travaillait dans le maraichage. En attendant, les collaborations se construisent sur le terrain : appel téléphonique aux Restaurants du Cœur, note circonstanciée adressée par mail et bien que l’Allocation Adulte Handicapé de Sébastien soit au-dessus du barème, un geste est consenti par l’association avec l’attribution d’un colis alimentaire. Ces quelques conserves, ces pommes et ce paquet de madeleines sont vécus par le « bénéficiaire » comme une aumône. Pas de positivisme, il faudra faire mieux la prochaine fois, car cet épisode invite à se recentrer sur l’essentiel du métier de Conseillère en Économie Sociale Familiale : écouter et rassurer. Pendant le rendez-vous téléphonique, une partie de la communication non verbale nous échappe. Malgré tout, le travail distancié n’empêche pas de miser sur une proximité si le numérique est un moyen et non une fin. La dynamique partenariale prend alors tout son sens avec les Espaces Départementaux des Solidarités ou les Centres Communaux d’Action Sociale (C.C.A.S.) car l’échange vient contre balancer l’absence durant deux mois des visites à domicile. Partager des informations précieuses lors des entretiens téléphoniques permet de mobiliser des aides exceptionnelles liées à l’état d’urgence. En Loire Atlantique, le 6 avril 2020, le département vote la mise en place d’un nouveau dispositif d’aides financières d’urgence dans le but de soutenir les plus fragiles.
Julie
Par l’intermédiaire des référents sociaux, la Caisse d’Allocation Familiale débloque 320 € à Julie qui élève seule ses deux enfants. Elle ne peut bénéficier de l’aide exceptionnelle de solidarité courant mai pour les bénéficiaires des minima sociaux ou encore de l’Allocation Logement (150 € par ménage et 100 € supplémentaires par enfant), car elle perçoit l’Allocation Retour Emploi et des prestations pour un total de 1312 € par mois. En revanche, le C.C.A.S. de la commune où elle est hébergée et par le biais de son épicerie sociale lui verse à trois reprises 120 € en chèque service, en contrepartie d’une participation de 10%. Ces initiatives contribuent à lui maintenir la tête hors de l’eau, à équilibrer son budget et à se sentir en dignité. Pour l’intervenante, il s’agit d’un jeu d’équilibriste, afin de trouver la juste place entre le présentiel et le distanciel : ne pas se substituer et être garante de l’accès aux droits.
Gabriel
Entre confidentialité et protection des données, il n’est pas simple d’aider Gabriel, Aurélia et leurs quatre enfants dans l’accès au dématérialisé. Ouvrir un compte sur Ameli.fr lorsque la puce du téléphone est bloquée et que le mot de passe de l’adresse mail a été oublié relève du parcours du combattant. Il est possible d’utiliser des ruses comme les onze derniers chiffres du numéro de série de la carte vitale conjugués aux sept derniers chiffres de l’IBAN. Si l’opération ne fonctionne pas, car le lien ne peut pas être activé, il faut faire preuve de patience. Avec l’ouverture d’un espace sur impot.gouv.fr et en utilisant la plateforme FranceConnect, nous accédons enfin à leur espace « particulier » de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie. Avec le numérique rien n’est joué d’avance car le principe d’essai erreur s’applique pleinement. A son domicile, le professionnel agit dans l’espoir que les situations se débloquent et il slalome entre souplesse et inventivité devant l’écran de son ordinateur portable, cette fenêtre ouverte sur le monde. Fabriquer du consentement en évitant le piège de l’alliance c’est négocier avec les uns et les autres afin de limiter les effets des écrits trop vite envoyés.
Haïda
Pour Haïda, qui adresse par courriel ses doléances à l’institution qui l’héberge, c’est une façon de s’exprimer et de dire ce qui doit être dit. Pour l’agent du C.C.A.S. qui réceptionne l’écrit, c’est blessant car il ne peut pas y avoir de décalage entre ses intentions et les résultats de son action. Depuis vingt-deux ans que je pratique ce métier de travailleur social, j’ai compris que chacun possède sa vérité subjective. La médiation permet d’expliquer les freins ou encore les attentes dans le but d’éviter les mises en échec. Accompagner un projet d’insertion implique de faire avec l’espoir d’accès au logement rêvé et de continuer à croire aux potentialités émancipatrices du suivi social. La relation d’aide s’inscrit dans des conditions bien particulières pour qu’une confiance s’installe. L’esprit de coopération se déploie dans de nouveaux partenariats notamment avec Emmaüs Connect qui fournit un ordinateur portable et une connexion internet à une famille qui occupe un logement HLM via le dispositif de la sous-location.
— -
Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.
si vous aussi, vous souhaitez nous faire part de votre témoignage, écrivez-nous ou envoyez-nous une vidéo de 2 à 3 min à red@lien-social.com.
(Plus de précisions)