N° 1213 | Le 21 septembre 2017 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le dernier budget présenté en équilibre par le gouvernement français remonte à 1974. Depuis, la dette publique n’a cessé de s’aggraver, atteignant 65% du PIB en 2007, et frôlant les 100% en 2015. La zone euro est à l’unisson, avec un taux moyen de 92%.
Benjamin Lemoine décrit les mécanismes qui ont conduit à ce résultat. Il rappelle opportunément le rôle central de l’État planificateur d’après guerre qui était non seulement un collecteur de fonds, mais aussi l’investisseur et le banquier de l’économie nationale, disposant en 1955 plus de capitaux que les banques privées (695 milliards de francs contre 617) et en redistribuant plus encore (783 contre 715).
Le pouvoir politique se considérait alors comme responsable de la répartition des crédits et de la planification de l’économie : tous les investissements furent d’abord orientés vers la reconstruction puis vers l’utilisation optimale des moyens de production. Dans les années 1980, un changement radical intervient : tous les mécanismes administratifs, politiques et financiers de contrôle, de maîtrise et de régulation de l’activité des banques sont délibérément détruits.
Alors que jusqu’en 1992, le Trésor se finançait encore sans intérêts auprès de la Banque de France, il fut contraint dorénavant de lever des fonds, chaque semaine, par émission de la dette souveraine aux taux fluctuants (infimes aujourd’hui, mais de 4 ou 5% hier). La décision de placer l’État sous la dépendance des taux d’intérêt des marchés financiers globalisés fut alors présentée comme une vertu censée imposer le respect des équilibres budgétaires publics.
Si, jusque là c’était l’État qui organisait le crédit des banques, il fut dorénavant contraint de vivre à crédit, en faisant appel à des souscripteurs, tentant de les appâter grâce à une fiscalité favorable et à la promesse d’une inflation maîtrisée. Quand la dette augmenta, la seule solution se résuma à la sollicitation des investisseurs privés. L’État stratège se redéploya ainsi autour des enjeux de compétitivité financière et d’émission performante de la dette publique fondées sur la dérégulation du travail et la diminution des dépenses sociales. Ce qui est nous est présenté aujourd’hui comme la menace d’une catastrophe qui nous contraindrait à l’austérité sociale et à la rigueur budgétaire n’est donc pas une fatalité. C’est le résultat du choix délibéré d’une politique de dérégulation assumée par les gouvernements tant de droite que de gauche, au nom de la libéralisation d’une économie censée apporter la prospérité et la croissance.
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