N° 1214 | Le 5 octobre 2017 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Deux lectures opposées cherchent à interpréter la passivité de certaines femmes face aux violences conjugales. La première privilégie une emprise de l’agresseur prenant la forme de l’effraction (invasion du territoire de sa proie), de la captation (son isolement) et de la programmation (son dressage). La seconde lecture accuse la femme de complicité active (provocation et incitation) ou passive (intériorisation de la domination patriarcale).
Cécile Condominas propose une piste alternative des plus fertiles élaborée à partir d’échanges avec six femmes maltraitées par leur conjoint. Pour elle, la relation amoureuse profite aux deux partenaires, répondant à leurs besoins à la fois d’étayage d’un côté, de valorisation narcissique de l’autre. L’empreinte de l’enfance pèse sur le choix amoureux et se trouve réactivée au sein du couple. Le conjoint ayant vécu avec une mère dominatrice va plutôt rechercher un paradigme amoureux fondé sur la réassurance, tissant une relation complémentaire qui s’articule à l’autre. Un lien maternel défaillant induira quant à lui l’attente du renforcement de l’estime de soi, produisant un rapport symétrique de rivalité avec le partenaire.
Pour l’auteur, la vie amoureuse répondant à ces quêtes, trois issues sont possibles quand celles-ci s’épuisent. La désillusion progressive d’abord, quand le retour au réel fait craqueler le vernis idéalisé. Le déni, le clivage et le refoulement, la rationalisation et la minimisation ensuite, autant de mécanismes d’agrippement venant à la rescousse de la faillite imminente, pour tenter de prolonger l’utopie. La rupture enfin, qui passe par des phases de haine et de souffrance, avant que l’apaisement n’apporte cette disponibilité nécessaire à de nouveaux investissements. Ces cycles, pour être ni linéaires, ni chronologiques sont néanmoins communs à tous les couples.
Dans les situations de violences conjugales, on retrouve la prise de conscience progressive face aux actes de brutalité verbale, psychologique, physique ou sexuelle. La séparation est rapide. On en parle rarement. Mais bien des facteurs contribuent à prolonger la période de dénégation, de banalisation et d’aveuglement : la compulsion de répétition (violence déjà subie dans l’enfance), la névrose de destinée (subir passivement son destin), la reproduction transgénérationnelle (agir en miroir avec ce que sa mère battue a vécu), l’habituation cognitive à la souffrance (ne plus sentir les coups), voire le syndrome de Stockholm (identification à l’agresseur).
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