N° 1193 | Le 13 octobre 2016 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Sociologie de la délinquance

Laurent Mucchielli


éd. Armand Colin, 2014, (222 p. — 19,90 €) | Commander ce livre

Thème : Sociologie

À la fois somme et synthèse, Laurent Mucchielli traite avec rigueur et érudition de la délinquance, en commençant par son étude dans le temps : depuis la perspicacité d’un Durkheim jusqu’à la création dans les années 1990 de l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure, en passant par la fertile école de Chicago et la réflexion menée par le centre de Vaucresson. La sociologie a réussi à supplanter les conceptions cherchant des causes du côté de la biologie, de l’hérédité ou du médical. Ce qui prévaut aujourd’hui, c’est le pluralisme théorique et méthodologique, la complexité l’emportant sur les prétentions à vouloir tout expliquer. Et cela tient à la plasticité des normes pénales qui ne vont pas de soi. « Nous ne réprouvons pas un acte parce qu’il est un crime, mais il est un crime parce que nous le réprouvons », affirmait Durkheim.

Pendant longtemps, ce qui était vécu comme le plus grave, ce n’était pas tant le meurtre que le blasphème, le sacrilège ou la transgression d’un interdit rituel. Le viol fut considéré jusqu’à peu comme moins grave que l’atteinte à la propriété. L’élimination des nouveaux nés atteints de malformation était banalisée. C’est récemment que l’avortement et l’homosexualité ont été dépénalisés, pendant que la notion de maltraitance intrafamiliale sortait du huis clos intrafamilial. La délinquance est donc bien une notion relative, définie par la loi, dans une société donnée et à un moment donné. Les évolutions contemporaines en sont une autre illustration. On assiste depuis quelques décennies à une véritable inflation judiciaire relevant d’une frénésie sécuritaire que l’auteur analyse à partir de plusieurs causes. Le degré de tolérance, d’abord, qui s’est effondré : « Plus un phénomène désagréable diminue, plus ce qui en reste est perçu ou vécu comme insupportable » (Chesnais).

Le lobbying des syndicats de policiers ensuite, particulièrement efficace tant auprès des politiques que de l’opinion publique. Les médias enfin, à la fois recherchant et suscitant la sensation et l’indignation. Cette collusion produit une focalisation sur les actes des couches les plus défavorisées de la société et des plus jeunes. Quant aux fraudeurs de la haute société, ils bénéficient d’une quasi impunité : corruption, fraude fiscale, délinquance en col blanc, infraction à législation du travail disparaissent de la procédure au fur et à mesure que l’on se rapproche du cœur de la machine judiciaire transformée, au nom de la tolérance zéro, en machine à broyer les plus pauvres mais incitée à dépénaliser progressivement la délinquance des affaires.


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